Haruki Murakami est un écrivain japonais (Kyoto 1949) et best seller mondial, ayant gagné de nombreux prix et ayant été pressenti pour le Nobel de Littérature depuis 2006. Il a été traduit à plus de 50 langues et édité à des millions d’exemplaires. En dehors de la publication de romans, Murakami est traducteur de l’anglais au japonais et il publie aussi comme essayiste sur des sujets d’actualité. Au plan personnel c’est un passionné des chats et de la musique de jazz.
Son style se rapproche de la littérature post moderniste avec du réalisme magique et une touche picaresque teintée de romantisme ou de surréalisme. Ses enquêtes policières se teintent aussi de fantastique ou de science fiction.
Il évoque dans ses romans des thèmes existentiels tels que la solitude, l’incommunicabilité, l’aliénation au sein des sociétés capitalistes. Dans ses livres on retrouve les pensées d’êtres à la recherche de leur identité et abordant l’existence avec un certain malaise. L’attitude prévalente des personnages chez Murakami est le détachement, une indolence faite de désenchantement ou de désillusion : un fatalisme zen.
J’ai lu plusieurs de ses romans et mes préférences vont à Kafka sur le rivage de 2002, son dixième roman, l’histoire d’un garçon de 15 ans qui fuit la maison familiale pour échapper à une prophétie annoncée par le père. Il arrive à l’île de Shikoku au sud où il se refugie dans une bibliothèque où il aura un ami qui va le protéger. Son parcours va rejoindre celui du vieux Nakota, amnésique qui comprend le langage des chats (les chats…).
L’incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage est le très long titre de ce livre, titre qui peut dérouter le lecteur. Mais ce titre a une explication : Tsukuru Tazaki a fait partie, pendant ses années d’école d’un groupe de 5 jeunes : trois garçons et deux filles où tous avaient un nom qui avait un rapport avec une couleur, sauf Tsukuru, d’où son surnom « d’incolore » (pourtant, le hasard avait voulu que Tsukuru Tazaki se distingue légèrement sur un point : son patronyme ne comportait pas de couleur. Les deux (autres) garçons s’appelaient Akamatsu=pin rouge, Ômi=mer bleue, et les deux filles, respectivement Shirane=racine blanche et Kurono=champ noir. D’emblée, Tsukuru avait éprouvé à cet égard une curieuse sensation de mise à l’index. D’autant que les autres, naturellement, s’étaient mis à s’appeler par leur couleur :Rouge, Bleu, Blanche et Noire). Quant à ses « années de pèlerinage », cela à trait avec Le mal du pays qui est la première partie d’une oeuvre de Franz Lizt, une oeuvre pour piano qui fait l’objet d’un chapitre dans le livre. Shirane « Blanche » joue souvent ce morceau, avec grâce et virtuosité, ce qui va marquer Tsukuru.
C’est un roman excellent où tous les éléments évoqués ci-dessus sont présents: la solitude, la recherche d’une identité, l’incommunicabilité, le fatalisme, mais aussi les chats et le jazz.
Le groupe de 5 lycéens dont Tsukuru fait partie est très uni, trop uni peut être parce qu’en dehors de ce groupe ultra fermé, ces gamins n’existent pas. Et le jour où le groupe rejette en bloc Tsukuru, celui-ci est dévasté et il en ignore la raison. Les souffrances de Tsukuru sont telles que ce jeune garçon en devenant un homme, va changer totalement d’aspect physique. Pendant 18 années il va se couper de sa ville et de ses amis pour aller habiter Tokyo où il exercera la profession d’ingénieur de gares, les gares qui ont été la passion de sa vie. Tsukuru a vécu 5 mois de sa vie hanté par la pensée de la mort (oui, véritablement, sérieusement, je ne pensais qu’à la mort. J’étais à peu près incapable de penser à autre chose. Au bord de l’abîme, j’ai tenté de découvrir ce qui se trouvait là et j’ai fini par ne plus pouvoir en détourner le regard. Quel était le nom de ma maladie…? Névrose ou dépression, je ne sais pas très bien. Au terme de ces 5 mois, mon visage s’était transformé. J’avais tellement changé que mes vêtements ne m’allaient plus. Mais l’élément déclencheur de tout cela a été votre décision de me chasser du groupe. Voilà ce qui m’a profondément changé).
Lorsqu’il fera la connaissance de Sara, de deux ans son aînée, celle-ci va lui suggérer de retourner dans sa ville et de rencontrer ses camarades afin de connaitre la vérité sur son cas pour pouvoir entamer une relation amoureuse sur des bases saines, car Sara pressent que Tsukuru est encore très ébranlé par son histoire ancienne.
En retournant aux sources Tsukuru apprendra la vérité, celle-ci est terrible et injuste car elle est bâtie sur un mensonge, un mensonge qui a empêché à Tsukuru d’être épanoui et de mener une vie normale.
C’est un roman plein de réflexions sur l’amitié, la vie, les sentiments, l’éducation, les joies quotidiennes, le temps qui passe. Il y a aussi, de l’insolite « murakamien » avec les rêves que fait Tsukuru entre réalité et prémonition; le lecteur, comme chaque fois, a du mal à situer les limites et cela surprend. Ce roman va très loin dans les réflexions. Par moments c’est trop bouleversant. Un grand roman, très fort.
Autres livres commentés : 1Q84, Profession romancier, L’étrange bibliothèque, Saules aveugles,femme endormie, Première personne du singulier.
L’INCOLORE, Belfond 2013, ISBN 978-2-7144-5687-8