Écrivain américaine d’origine japonaise née à Palo Alto, Californie en 1962. Lauréate du Femina Étranger 2012 et du PEN/Faulkner Award for fiction 2012 pour ce livre qui est son deuxième livre ( The Buddha in the attic). Elle est diplômée en Art à l’Université de Yale et de Columbia; c’est une ancienne artiste peintre qui vit actuellement à New York.
Son propre grand père a été arrêté par le FBI au lendemain de Pearl Harbor et sa famille internée 3 ans au camp Topaz dans l’Utah. C’est donc une histoire familiale douloureuse qu’elle nous relate dans ce court livre plein de retenue et de délicatesse, car , sans son talent, le livre aurait pu sombrer dans le pathétique.
C’est un épisode peu connu dans l’histoire de ce vaste pays d’immigrants que sont les États-Unis. Au début du XXème siècle, des jeunes femmes japonaises furent demandées en mariage par correspondance, par des compatriotes déjà installés aux USA. Ils utilisèrent des lettres, accompagnées de photographies pour appuyer leur demande; les jeunes filles étaient pauvres et parfois originaires des montagnes – elles n’avaient jamais vu la mer. C’était en fait une tromperie collective car les fiancés étaient vieux et misérables; les photos étaient de vieilles photos ou parfois les clichés correspondaient à d’autres gens physiquement plus présentables. Elles arrivèrent à San Francisco par bateau en rêvant de ce pays de cocagne où l’homme blanc était roi. Elles furent amèrement déçues, trompées, abusées, maltraitées, battues, incarcérées, réduites presque à l’esclavage par leur mari. Très peu d’entre elles furent heureuses et aisées. Elles ne s’intégrèrent jamais, sans parler anglais ni s’assimiler dans leur nouvelle culture.
Et lorsque l’attaque surprise par l’aéronavale japonaise sur la base américaine de Pearl Harbor eut lieu le 7 décembre 1941, ceci entraîna l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale. Le sentiment anti-japonais aux USA rendit suspects tous les Japonais vivant sur le sol américain ainsi que les Américains d’origine japonaise, en les soupçonnant de constituer une cinquième colonne sur le sol américain. 11 000 Japonais et citoyens Américains furent rassemblés dans des camps d’internement isolés dans les états de Washington, Californie et Oregon. En 1988, le Congrès américain présenta officiellement des excuses en votant une loi qui indemnisait les victimes encore vivantes. Pearl Harbor peut expliquer aussi la détermination des USA à procéder aux bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki.
Julie Otsuka nous relate cet événement en 8 chapitres, chacun correspondant à une partie bien précise du drame pour ces jeunes filles japonaises. Le premier chapitre concerne le départ du Japon vers l’Amérique (souvent la fille aînée était vendue comme geisha afin de nourrir le reste de la famille), soulageant les parents de leur fardeau, mais sachant pertinemment que le retour en arrière était impossible car un japonais ne doit pas perdre la face vis-à-vis des voisins. Le deuxième chapitre relate leur installation précaire sur le sol américain et les brutalités qu’elles durent subir de la part de la plupart des maris. Elles se transformèrent en véritables bêtes de somme, travaillant sans répit comme ouvrières agricoles, comme bonnes, comme cuisinières, comme lavandières, comme prostituées. Le travail du mari ne valait guère mieux. Puis vinrent les enfants, élevés à la va-comme-je-te-pousse, car il ne fallait surtout pas manquer au travail. Certains de ses enfants deviendront de vrais petits américains, apprenant la langue et les coutumes du pays d’accueil, mais avec le cruel corollaire du rejet et la honte envers ces parents non intégrés comme eux. Puis vint Pearl Harbor et la méfiance des américains qui vont les interner sans sommation dans des camps, en perdant le peu que ces gens possédaient avant l’internement.
Page 39 nous lisons: ...Ils admiraient nos dos robustes et nos mains agiles. Notre endurance. Notre discipline. Nos dispositions dociles. Notre capacité peu commune à supporter la chaleur, qui l’été dans les champs de melons de Brawley pouvait frôler les cinquante degrés. Ils disaient que notre petite taille était idéale pour les travaux nécessitant de se courber jusqu’à terre. Où qu’ils nous assignent, ils étaient contents. Nous possédions toutes les vertus des Chinois-travailleurs, patients, d’une indéfectible politesse-, mais sans leurs vices-nous n’étions ni joueurs ni opiomanes, nous ne nous battions pas et ne crachions jamais. Nous étions plus rapides que les Philippins et moins arrogants que les hindous. Plus disciplinés que les Coréens. Moins tapageurs que les Mexicains. Nous revenions moins cher à nourrir que les migrants d’Oklahoma et d’Arkansas, qu’ils soient ou non de couleur. Nous étions la meilleure race de travailleurs qu’ils aient jamais employée au cours de leur vie.
Julie Otsuka narre ceci de façon polyphonique, comme un chœur antique qui pleure et débite les malheurs collectifs à la première personne du pluriel en utilisant des voix anonymes qui scandent leur destin misérable dans une sorte d’incantation qui fait mal. C’est un livre témoignage, efficace et intéressant.
L’écrivain ne nous éclaire pas sur la suite du drame vécu par ses grands parents. En tout cas, le cursus de Julie Otsuka montre bien qu’elle a pris la revanche des malheurs du passé en suivant une formation dans deux universités prestigieuses américaines faisant partie de l’Ivy League: Yale et Columbia.
CERTAINES N’AVAIENT JAMAIS VU LA MER, Phébus 2011, ISBN 978-2-7529-0670-0