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Le salon de Wurtemberg de Pascal Quignard

Pascal Quignard est un écrivain et violoncelliste français (Verneuil-sur-Avre 1948), licencié en Philosophie.

Son oeuvre est considérée comme l’une des plus importantes de la littérature française contemporaine; cette oeuvre est complexe : les thèmes sont souvent ressassés, les découpages très fragmentaires, et cela déroute. Ces thèmes tournent autour de la mort, la lecture, le silence, les lieux, la musique, la sexualité, sur un fond empreint de dépression. Il réalise un travail sur la mémoire et l’inéluctable métamorphose des souvenirs, l’amitié, les amours contingentes.

Pascal Quignard travaille entre fiction et réalité, entre philo et psychologie, entre musique et littérature.

Son style si particulier lui a valu un épithète, celui de quignardien, une écriture coq-à-l’âne quignardienne, répétitive.

Sa consécration est arrivée avec ce livre et la notoriété avec le suivant, Les Escaliers de Chambord (1989).

Le salon du Wurtemberg (1986) est un récit, étiqueté roman lors de sa parution, qui semble comporter beaucoup d’auto-fiction. Le livre raconte la vie de Charles Chenogne, dit Karl, entre l’année de son service militaire (1963) et l’année 1986; Charles est né en Allemagne dans un milieu très français (huguenots installés dans le Wurtemberg) et il pourrait parfaitement correspondre à un alter ego de Pascal Quignard (+/- même âge, musicien, écrivain, un parcours visiblement parallèle).

Le narrateur va nous livrer sa vie par fragments, le plus souvent avec un mode flux de conscience et moult, moult digressions qui lui viennent à l’esprit sur des thèmes divers, la plupart du temps ayant trait à la culture non tant musicale que littéraire, historique, philosophique. L’écriture est très riche en détails, qui par moments nous la rendent très précieuse, recherchée. Le narrateur est un être très mélancolique voire dépressif, jamais content, toujours entre deux déchirements, un être en somme assez nietzschéen.

Sa vie commence en Allemagne où sa mère quittera sa famille pour un autre homme. Ensuite Charles Chenogne ne se sentira jamais un sujet épanoui, ni accompli, il recherchera la solitude en même temps que la compagnie sans pouvoir réellement s’attacher aux gens ni aux choses; on dirait que c’est la recherche permanente du paradis perdu.

Ci-après un paragraphe sur les souvenirs…Étranges rêves que nos souvenirs. Étranges fleuves que nos oublis et que nos vies. Sur toutes les minutes que nous vivons ne demeurent en suspension que d’étranges fragments. On ne voit pas quelle nécessité a présidé à la section, au bris, à l’effilochage, ou au naufrage. Étranges naufrageurs que les livres.

Dans ce livre, le meilleur ami du narrateur est un fin connoisseur de confiseries, parfois surannées, des raretés éparpillées entre la France et l’Allemagne. Il y a, page 315 un si joli éloge du calisson d’Aix que je cite ici…Les calissons d’Aix comptent parmi les bonbons que je préfère- parce qu’ils sont presque de pâtisseries, parce qu’ils sont légers aux doigts, parce qu’ils sont tendres aux dents, parce qu’ils sont subtils au goût, parce qu’ils ont la forme de mandorles, parce qu’en eux la pomme tragique, la pomme féminine, la pomme édénique, peu à peu s’efface devant l’amande, parce qu’ils ont conservé une part de l’odeur des cyprès verts et de la montagne Sainte-Victoire, parce qu’ils sont d’une blancheur qui rappelle plus la couleur de la peau humaine que la couleur du lait, ou que la couleur de la canine, ou que la couleur de l’innocence, parce qu’ils sont des sortes d’hosties diaboliques ou du moins de minuscules pains bénits enveloppés- du pain azyme de l’hostie.

Une lecture ardue qui nécessite concentration, qui demande la relecture de passages sous peine de perdre le fil . Plusieurs fois je fus tentée d’arrêter et chaque fois j’ai continué, attirée par le déferlement d’idées et de préciosités qui sautaient du coq-à-l’âne pour vous mettre en éveil, un éveil légèrement accablé par un afflux torrentiel d’informations.

Après cet effort, le réconfort est de pouvoir appréhender un peu mieux le style et la manière de cet auteur singulier.

Autre livre commenté : Les solidarités mystérieuses .

LE SALON DE WURTEMBERG, Gallimard 1986, ISBN 2-07-070710-5

Le bleu de la nuit de Joan Didion

Joan Didion est une romancière, journaliste, essayiste et scénariste nord-américaine (Sacramento 1932-New York 2021). Elle s’inscrit dans le mouvement du nouveau journalisme du début des années 1970 qui fait converger les techniques du roman réaliste et celles de l’enquête journalistique.

Elle a commencé sa carrière dans la revue américaine Vogue et à 80 ans, elle a été choisie comme égérie de la maison Céline par la créatrice anglaise Phoebe Philo car son amour pour les pulls noirs, ses grands verres fumés qui tiennent à distance et son manque de maquillage, font que l’écrivaine incarnait sans le savoir, le style Céline.

C’est son livre L’Année de la pensée magique qui l’a fait connaitre en France, un essai qui parle du décès de son mari en décembre 2005 (l’écrivain John Gregory Dunne), un livre primé avec le National Book Award 2005.

Le Bleu de la Nuit (Blue Nights 2011) est un autre récit, cette fois dédié à sa fille unique, décédée en 2005, la même année que son mari; un ouvrage de mémoire qui narre le décès à 39 ans de Quintana Roos Dunne, survenu la même année que celui du père! Comment pouvoir imaginer la douleur éprouvée par Joan Didion? C’est tellement contre nature et les mots sont trop petits pour l’exprimer. D’un autre côté, l’écriture peut agir comme exutoire de cette douleur.

Ainsi Joan Didion va utiliser sa mémoire pour reconstruire sa vie auprès de cette fille qu’elle et son mari avaient tant désiré et qu’ils ont adopté à sa naissance en 1966. Joan Didion commence par le récit du mariage de sa fille, puis elle construit comme un patchwork autour de ses souvenirs les plus marquants.

C’est assez haché et désordonné, par moments répétitif, mais c’est le style choisi et il rend bien compte de l’état de détresse dans lequel Didion a dû se retrouver. En même temps l’écrivaine parle beaucoup d’elle même, notamment des dégâts de la vieillesse, le tout avec une grande franchise.

Je n’avais rien lu d’elle jusqu’à maintenant, de manière que je ne sais pas si ce style va se retrouver dans d’autres publications. Ici par moments il surgit de la poésie, un peu elliptique, assez éthérée. Par exemple dans le chapitre 1 quand elle parle de cette lumière bleue qui existerait à New York où Didion résidait, une lumière qui surgit au changement de saison (hiver-printemps) et qui vous baigne dans la rue, et ce serait la matière même de la lumière qui parait bleue, qui s’épaissit avec les heures, s’intensifie puis s’estompe se rapprochant du bleu des vitraux de Chartres par beau temps; c’est le moment de la journée que les français appellent l’heure bleue.

Bel hommage, très personnel, à l’occasion de la disparition de la fille de Joan Didion, et une belle manière de la garder pour toujours avec elle.

LE BLEU DE LA NUIT, Bernard Grasset Editeur 2013 (JD 2011), ISBN 978-2-246-78973-4

Voyage autour de mon enfance d’Emmanuel de Waresquiel

Emmanuel de Waresquiel est un historien français (Paris 1957), très connu pour ses biographies (Talleyrand, Fouché, duc de Richelieu, et d’autres). Il s’intéresse particulièrement aux rapports de l’histoire à la mémoire.

Voyage autour de mon enfance (2022) est un livre justement sur la mémoire, sur son enfance heureuse et sans drames qui l’a conduit à être ce qu’il est.

L’écriture est belle et soignée, teinte d’une certaine mélancolie pour le temps qui passe. Le récit concerne uniquement sa petite enfance, l’âge de l’insouciance bienheureuse. Il en ressort particulièrement son profond attachement envers sa mère fait de tendresse et d’admiration pour l’image qu’elle lui a laissée.

Dès le début, le ton est donné par l’élégance du propos...Lorsqu’on la surprend, telle la cétoine dans la rose, l’enfance à l’évidence de nos chimères. Ce livre est un récit, pas des mémoires.

J’aimais passionnément ces escapades de campagne, les retours de balades à la tombée du jour, l’herbe mouillée, l’humidité qui monte et nous fait frissonner. L’automne était déjà ma saison préférée. Je m’en souviens comme d’un temps de feuilles mortes et de lèvres closes. Il y passait des lumières jaunes de lisière et de fleurs fanées. Les arbres achevaient de muer, les lignes de l’horizon se confondaient à force d’être grises ou bleues, la rivière coulait en silence. Derrière la maison, le tapis rose et blanc des cyclamens d’août s’en allait par lambeaux. À la cuisine on préparait les confitures de l’hiver dans des grandes bassines alchimiques. On y enfermait le temps dans des pots…

C’est toujours assez délicatement sensuel, plein de sensations avec le dehors, toujours de l’émerveillement.

Un petit écrin de tendresse à laisser en héritage.

VOYAGE AUTOUR DE MON ENFANCE, Tallandier 2022, ISBN 979-10-210-5256-7

Je chemine avec…Angélique Kidjo

Je chemine avec... Angélique Kidjo - broché - Angélique Kidjo - Achat Livre  ou ebook | fnac

Angélique Kidjo est née française au Bénin en 1960 et dès son plus jeune âge elle a éprouvé une réelle attirance pour la musique. Ella a quitté le Bénin en 1983 parce qu’elle ne pouvait pas s’exprimer en tant qu’artiste dans son pays; elle est venue en France où elle a continué sa formation musicale. Elle vit aux USA depuis 1998 et elle est devenue une star dans sa catégorie, avec à son actif 4 Grammy Awards. Sa musique est ancrée dans l’histoire d’Afrique et dans la défense des droits humains. Actuellement elle s’occupe d’actions humanitaires en Afrique par le biais de l’Unicef depuis 2002 et elle a créée la Fondation Batonga qui aide des jeunes filles africaines d’endroits reculés à avoir une éducation secondaire.

Je ne connaissais pas le nom de cette artiste ni sa musique jusqu’à la lecture de ce petit livre.

À travers l’entrevue avec Sophie Lhuillier, nous approchons l’histoire exemplaire de cette femme qui a lutté une partie de sa vie parce qu’elle était femme, parce qu’elle était noire et parce qu’elle était loin de son pays natal.

Son parcours d’artiste est intéressant: le travail est incessant, l’apprentissage perpétuel et des déplacements permanents, mais sans jamais perdre de vue ses prérogatives personnelles. Elle a su trouver un bon équilibre qui lui a permis de progresser, de réussir tout en étant une femme accomplie et droite. Ses parents peuvent en être fiers, d’autant qu’ils ont eu un rôle important; tous les deux sont lettrés et ils ont su élever et éduquer leurs enfants. Dans cet entretien Angélique leur rend un hommage vibrant de gratitude.

Quant à la personnalité d’Angélique Kidjo, on peut dire qu’elle est forte. C’est une femme qui aime les défis, les changements, c’est une guerrière sans les armes, une téméraire qui aime débuter sa journée sans savoir ce qui l’attend, sans savoir ce qu’elle pourra, peut-être, faire pour les autres. Son quotidien est celui d’une athlète qui pratique un sport et en outre, comme chanteuse elle doit travailler ses cordes vocales en tant que muscles et en les protégeant un maximum pour ne pas les endommager.

La vie d’Angélique Kidjo est le fruit de rencontres opportunes, c’est elle qui le dit. Et cela résume beaucoup de choses dans sa vie. Elle rêverait de justice et d’égalité pour tous ainsi que de moins de violence.

Oui, les jeunes pourraient s’inspirer de ce parcours de vie fait de persévérance, de travail et de tolérance.

Dans la même collection : Je chemine avec Nancy Huston, Je chemine avec Gilles Clément.

JE CHEMINE AVEC, Seuil 2021, ISBN 978-2-02-147484-8

Je chemine avec… Nancy Huston

Nancy Huston est une romancière canadienne anglophone,  elle écrit aussi en français; née en 1953 dans l’Alberta, mais réside en France depuis 1976; elle possède  une vaste bibliographie. 

Je ne connaissais pas la collection du Seuil, Je chemine avec, qui consiste en des livres comportant un questionnaire bien mené et orienté qui permet de mettre en valeur une personnalité.

J’ai lu plusieurs de ses livres; deux ont été commentés dans ce blog (cf plus bas). J’aime son écriture qui va au profond de la fibre humaine et en la lisant, j’avais cru détecter une certaine souffrance même si elle paraissait « travaillée ». J’éprouve la même sensation avec la lecture des livres de Joyce Carol Oates, mais ici le trait douloureux me paraît encore plus marqué, plus noir.

C’est un privilège que de partager un peu de temps avec l’écrivaine via l’entrevue de Mme Sophie Lhuillier.

J’ignorais le niveau de préparation intellectuelle de Mme Huston et je constate qu’elle a un très bon bagage, spécialement littéraire. Je savais que son enfance avait été dure par l’absence de sa mère à partir de ses 6 ans, et en lisant ce livre je me rends compte combien cela a dû être traumatisant.

J’admire au passage le niveau de son honnêteté intellectuelle et affective. Il y a là dessous un énorme travail de « connaissance de soi », un effort pour aller jusqu’au fond des choses et des sentiments.

J’ai bien apprécié les quelques citations littéraires et j’avoue en avoir noté plusieurs pour mes lectures prochaines.

Elle est tiraillée entre deux identités, la canadienne et la française, mais pour se retrouver elle même et se reconnaître dans ce qu’elle est vraiment, elle a besoin de revenir à sa langue maternelle, l’anglais.

Elle a retrouvé un certain enracinement dans la terre berrichonne, elle se sent bien là bas. Elle a su garder cela comme un havre de paix, un terrain neutre où se ressourcer.(Je suis profondément reconnaissante aux gens de ce petit pays de m’avoir acceptée et, au long des années, initiée à leurs rituels, leur patois, leurs coutumes, leurs paysages. Il n’y a peut-être nulle part au monde où je me sente plus « chez moi ». Je pourrais circuler à l’infini à travers le bocage berrichon dans le lacis inextricable des petits chemins. Ça me rassure et me rend heureuse; étrangement, je me sens enracinée là bas).

Une lecture intéressante, riche en enseignements, une personnalité attachante.

Autres livres commentés : Les variations Goldberg, Lignes de faille et dans cette même collection : Je chemine avec Angélique Kidjo, Je chemine avec Gilles Clément.

JE CHEMINE AVEC, Éditions du Seuil 2021, ISBN 978-2-02-146127-5

L’Adversaire d’Emmanuel Carrère

L'adversaire, Emmanuel Carrère - Réseau Canopé

Emmanuel Carrère est un écrivain, scénariste et réalisateur français (Paris 1957), diplômé de l’Institut d’Études Politiques. C’est le fils de la distinguée russologue française et académicienne Hélène Carrère d’Encausse qui a des origines russes,  ce qui explique en partie son engouement pour la Russie.

L’Adversaire (2000) m’a été chaudement recommandé et je suis d’accord car c’est une lecture qui apporte un point de vue intéressant sur une affaire criminelle qui a commotionné la France en 1993, l’affaire Jean-Claude Romand, le quintuple assassin. C’est un livre-récit de non-fiction, considéré comme un rapport par l’auteur et aussi comme un livre jumeau de son autre livre La classe de neige (1995), qui a été écrit après l’abandon d’une première écriture de L’adversaire où Emmanuel Carrère intègre l’image de l’enfance de Jean-Claude Romand pour essayer de comprendre ce qui avait fait naître la personnalité du futur criminel et où il va éprouver une certaine empathie pour un enfant a qui l’on a enseigné le mensonge vis-à-vis d’une mère malade. L’adversaire est le résultat d’une enquête journalistique de plusieurs années et qui se veut fidèle à la réalité.

Le livre a été l’objet de 2 adaptations cinématographiques, la première par Laurent Contet en 2001  sous le titre L’emploi du temps  et la deuxième en 2002 par Nicole Garcia sous un titre  éponyme. Il y a eu aussi une adaptation pour le théâtre en 2016 conduite par Fréderic Cherbœuf.

L’écrivain E. Carrère a voulu travailler sur la part d’imposture qui existe en tout être humain mais qui prend rarement des proportions aussi monstrueuses, mais ce livre n’explique rien car l’auteur n’est pas arrivé à démêler la personnalité du criminel.

L’AFFAIRE CRIMINELLE: Jean-Claude Romand, natif du Jura, va assassiner épouse, enfants (2) et ses parents le 9 janvier 1993 et va rater son suicide. L’investigation va révéler très vite que Romand vivait dans le mensonge depuis 18 années! Jusqu’au dérapage il a pu mener une double vie dans une relative opulence. Il se disait médecin chercheur mais il n’avait pas fini ses études de Médecine abandonnées en deuxième année. Il s’installera à la frontière Suisse pour justifier d’un faux emploi à l’OMS. L’argent pour toute cette frime émanait de diverses escroqueries qu’il a perpétrées et froidement calculées au fil des années auprès des proches et de moins proches. Il a poussé le vice jusqu’à escroquer des gens dans le domaine de la santé!

Personne, pendant 18 années ne va le soupçonner de quoique ce soit et la Faculté de Médecine où il est resté inscrit pendant 12 années en deuxième année ne se montrera pas étonnée devant une telle bizarrerie…

L’explication du titre émane du nom donné au diable dans la Bible : l’adversaire, le menteur.

Ce quintuple meurtre prémédité est appelé « crime altruiste » par les psychiatres car Romand a tué les personnes qu’il aimait le plus au monde afin « de les protéger » de la vérité accablante sur lui. Nous sommes devant une pathologie narcissique grave avec mythomanie, froideur affective et investissement massif des apparences au détriment de la profondeur.

L’assassin a mené une double vie pendant 18 années. Côté face il était un bon mari et un père aimant, il avait des amis, certains très proches; il se déplaçait, il voyageait, il s’occupait de ses vieux parents. Côté pile, il n’était rien, il errait, il se terrait, il disparaissait pendant les heures de travail. Et il montait des escroqueries avec ses proches et non proches, sans l’ombre d’un remords. Un mensonge entraînait le suivant. En 1993 sa femme, pharmacienne de formation, a commencé à douter sur certains détails, ce qui a déclenché le drame.

Le livre est intéressant parce que Carrère est l’écrivain-narrateur de l’histoire de Jean-Claude Romand et aussi de la sienne, de celui qui doit colliger des informations; nous sentons les doutes qui l’assaillent, la terreur qu’il éprouve et la pitié aussi. Au fil du récit l’écrivain semble se détacher de l’histoire qu’il nous raconte et l’on sent très bien les hésitations dans le récit de la honte qui’il  ressent en tant qu’écrivain, en approchant un tel monstre.

Emmanuel Carrère mettra 7 années pour écrire ce livre;  il avait écrit une première lettre à l’assassin 6 mois après les faits, lettre restée sans réponse pendant 2 ans. Finalement le livre paraîtra 7 ans après les faits et 4 ans après le procès.

Jean-Claude Romand sera condamné à perpétuité (assortie de 22 années de réclusion) et sera détenu à Chateauroux,  il sera libéré après 23 années de réclusion. Actuellement il vit en liberté conditionnelle dans l’Indre depuis juillet 2019, il doit porter un bracelet électronique pendant une période probatoire de 2 ans et sera soumis à des contrôles pendant 10 ans.

Il paraît que ce « père aimant », « fils modèle », « ami intachable » et « détenu modèle » tombé en religion avait obtenu un 16/20 à l’épreuve philo du Bac 1976 sur le thème « La vérité existe-t-elle?

Peut-on croire dans la rédemption d’un tel personnage, calculateur froid et mythomane récidiviste ? Sincèrement je ne le pense pas. Pour moi c’est la vive incarnation d’un monstre sans rédemption possible.

Autre livre commenté : Limonov.

L'Emploi du temps (2001), un film de Laurent Cantet | Premiere.fr ...          Affiche du film L'Adversaire - Affiche 1 sur 1 - AlloCiné

L’ADVERSAIRE, Folio N° 3520 (E.C. 2000),  ISBN 978-2-07-041621-9

Ma mère de Richard Ford

TOP 25 QUOTES BY RICHARD FORD (of 105) | A-Z Quotes

Richard Ford est un écrivain nord-américain (Jackson 1944) détenteur de plusieurs prix dont le Pulitzer en 1996 et le Femina Étranger en 2013 pour Canada. Il est considéré actuellement comme le boss du roman américain après le décès en 2018 de Philip Roth. Selon le journaliste français Benjamin Chapon, Richard Ford occupe une place décalée et centrale à la fois, dans le paysage du roman nord-américain. C’est en lisant récemment un roman du chilien Gonzalo Contreras que j’ai croisé le nom de R. Ford, réalisant que je n’avais rien lu de cet auteur qui semblait si important aux yeux d’un autre écrivain qui lit beaucoup (cas rare!).

Ma mère (My mother 1988) est un court récit de 73 pages, écrit avec une élégance et une sobriété exemplaires, très loin de tout pathos et laissant transparaître l’amour envers cette mère si proche et si lointaine en même temps, si pareille à lui selon ses propres dires, surtout au plan physique et sa façon de rire…c’est déjà beaucoup. Cette façon délicate qu’il a eu de reconstituer la vie de sa mère tout en respectant les distances et les interprétations.

L’histoire de sa mère figure aussi dans le livre Entre Eux publié en 2017 (Between Them: Remembering My Parents) où nous avons l’histoire de son père aussi, mort précocement de crise cardiaque alors qu’il était adolescent. Sa mère va lui survivre une vingtaine d’années et elle devra travailler dur pour l’aider dans ses études.

Par le plus grand des hasards, j’enchaîne ce livre avec le dernier opus de l’écrivain espagnol Manuel Vilas qui avait remporté un succès important avec son précédant roman Ordesa, salué avec le Prix Femina Étranger 2018 ; c’est un autre ouvrage qui parle de la disparition des parents sur un ton si plaintif et obsessionnel que cela dérange, même si l’on reconnait beaucoup d’universalité dans ces sentiments exprimés si douloureusement, l’écrivain n’arrivant pas à faire son travail de deuil. Mais dans Ordesa le point crucial se trouve dans la psyché de l’écrivain et ce qui m’avait interpelé dans ce livre était les mots  et les phrases crus pour étaler cette douleur de l’âme.

La fin du livre Ma mère  est si belle que je vous la cite en entier…ma mère me permit néanmoins d’exprimer mes sentiments les plus véridiques, tout comme une oeuvre littéraire s’offre à ses lecteurs passionnés. J’ai vécu avec elle ce moment auquel nous aspirons tous, ce moment où l’on peut dire : « Oui. Les choses sont ainsi. » Cet acte de connaissance qui est la preuve de l’amour. Je l’ai vécu. J’ai connu avec elle un grand nombre de ces moments, et je les reconnaissais à l’instant même où ils se produisaient. Maintenant encore, je les reconnais. Et je crois que je les connaîtrait toujours.

Un petit bijou.

Autre livre de l’auteur : Le bout du rouleau, Rien à déclarer, En toute franchise (4).

MA MÈRE, Éditions de l’Olivier 1994 (R.F. 1988),  ISBN 2-879-2906-5

Hasta que puedas quererte solo de Pablo Ramos

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Pablo Ramos es un escritor y poeta argentino (Avellaneda 1966), destacado por sus libros que reflejan su historia personal frente a la dependencia al alcohol y a la cocaína desde sus 18 años. El autor dijo en una entrevista que este libro es « una respuesta estética a un problema moral« . La frase me parece muy justa.

El libro me fue muy recomendado por una librera, junto con otros, por mi paso por Ushuaia. Le agradezco su consejo porque hasta ahora las opciones han resultado excelentes.

Su via crucis personal está descrito en este libro (2016) que es muy autorreferencial  y tiene un bonito título que encontramos en el prólogo del libro : cito…escribo estas palabras con las manos endurecidas. El cuerpo tiene sed y el alma se siente sola, pero me siento mejor al rememorar las palabras de mi anfitrión (el hombre que lo acogió en 1997 para la primera reunión de Adictos Anónimos), las palabras que me dijo el compañero cincuentón, ese que el azar quiso que yo nunca volviera a ver, ese del cual no recuerdo casi nada, excepto lo que me dijo « pase lo que pase vos vení, que acá te vamos a querer, hasta que puedas quererte solo ».

Son 12 capítulos que él llama « pasos » como los pasos que se deben seguir durante la rehabilitación con los Adictos Anónimos y los Alcohólicos Anónimos en Argentina.

Al principio de cada « paso » van las reflexiones del autor que luego ilustra con un caso real. Cada historia es diferente, conmovedora e hiperrealista. La prosa es perfecta, clara y sin patetismo en los relatos.

El autor dice sentir cierto alivio considerando que el cuadro de la adicción es una enfermedad, como si la medicalización aliviara el sentido de culpa. Pero en realidad, la enfermedad es la consecuencia del abuso de alcohol y drogas que destruyen poco a poco el cuerpo y la mente,  llevando a la gente a la abulia. Tiene suerte el escritor Ramos de haber podido conservar intacto su intelecto y así brindar un testimonio de vida tan bien escrito.

Un párrafo terrible y significativo (página 60): la vergüenza en la cara de los adictos: ese sentimiento metido en la carne, el sentimiento de ser deficientes morales, crea una extraña, una horrible distancia.

Sus invocaciones espirituales son muy personales y probablemente necesarias para hacer frente a tales desmanes físicos y mentales. Ese es un tópico personal al autor y que se debe respetar, pero me pareció el menos convincente aunque muy necesario.

Una obra que obliga al lector a bajar a los infiernos al mismo tiempo que rogar  por una mejoría.

HASTA QUE PUEDAS, Alfaguara 2016,  ISBN 978-987-738-225-9

Nos voisins du dessous de Bill Bryson

Bill Bryson

 William (Bill) MacGuire Bryson est né en 1951 dans l’Iowa, États-Unis;  c’est un auteur  de récits de voyages humoristiques, mais aussi de livres traitant de la langue anglaise et de sujets scientifiques. Il a vécu presque toute sa vie d’adulte dans le Royaume-Uni, travaillant dans le journalisme entre 1977 et 1987 ,  puis retournant aux États- Unis pour terminer son diplôme. Il s’est installé définitivement dans le Norfolk (UK ) avec son épouse anglaise Cynthia et ses enfants. Vous verrez toujours Bill Bryson souriant sur les photos, je pense qu’il doit son caractère joyeux à son ascendance nord-américaine : l’optimisme avant tout.

Nos voisins du dessous- chroniques australiennes date de 2000 (Down Under); c’est encore un livre très drôle surtout dans l’auto-dérision mais aussi terriblement intéressant sur ce continent si mal connu et ce pays si récent qui est l’Australie. Ce livre m’a rappelé le très drôle La vengeance du Wombat de Kenneth Cook (billet en février 2016), mais le livre de Cook est un recueil d’anecdotes désopilantes alors que le livre de Bryson est fortement charpenté avec un itinéraire infernal qui traverse tout le continent et donne des tonnes d’informations.

Le pays est si vaste que le désert de Simpson est grand comme neuf fois la Belgique, c’est le outback australien : c’est si grand que cette terre farouche est encore inconnue. Le fabuleux site d’Ayers Rock aujourd’hui rendu aux aborigènes a été rebaptisé Uluru; il y a un siècle, il n’était connu que de ses gardiens aborigènes. Il correspond à une formation géologique appelée inselberg : un gros morceau de roche, plus résistant que les autres, épargné par l’érosion, d’une taille et d’une symétrie parfaites. Pour les australiens tout ce qui est rural est classé comme bush et au-delà d’un seuil indéterminé, le bush devient l’outback; parcourez encore 3 000 Km et le outback redevient bush, puis vous tombez sur une ville, et puis c’est l’océan. Et voilà, on a traversé l’Australie.

Bill Bryson adore l’Australie parce que les gens sont incroyablement sympathiques, ils sont joyeux, extravertis, vifs et serviables au possible; les villes sont propres et presque toujours bâties au bord de l’eau; la société y est prospère, bien ordonnée et d’inspiration égalitaire; on y mange bien; on vous sert la bière glacée; le soleil brille presque en permanence; on trouve du café à tous les coins de rue. C’est sans doute le vide impressionnant de leur patrie qui rend les Australiens aussi sociables.

L’Australie est un pays de clubs – clubs de sport, club d’associations ouvrières, clubs d’anciens militaires, clubs affiliés à différents partis politiques – tous voués très activement au bien-être d’une couche particulière de la société. Leur véritable mission, cependant, est de dégager de gros bénéfices à partir de deux ressources principales : la boisson et les jeux de hasard. Les Australiens seraient les plus gros joueurs de la planète. Mais il n’en a pas été toujours ainsi : au début l’Australie était un bagne et les premiers habitants sont arrivés couverts de chaînes mais ce passé de colonie pénitentiaire n’aime pas être évoqué par les australiens.

La ruée vers l’or vers 1846 allait transformer complètement l’Australie. Il y avait de l’or partout. En moins de 10 ans le pays s’enrichit de 600 000 têtes, ce qui fit doubler sa population avec la croissance la plus forte dans l’État de Victoria qui recelait les gisements les plus riches. La principale conséquence de cette ruée fut qu’on mis fin à la déportation des forçats. Lorsque les autorités de Londres comprirent que l’exil vers l’Australie était devenu une récompense plus qu’une punition, que les condamnés brûlaient d’envie d’y être déportés, tout ce concept de colonie pénitentiaire s’est effondré.

Pendant 60 millions d’années, depuis la formation de la cordillère Australienne, l’Australie s’est tenue coite sur le plan géologique, ce que lui a permis de conserver certains des plus anciens vestiges terrestres : les terrains et fossiles les plus vieux, les premières traces d’animaux ou de rivières. De tous les continents habités l’Australie est le plus aride, le plus plat, le plus chaud, le plus déshydraté, le plus infertile et le plus agressif du point de vue climatique. C’est un lieu si inerte que le sol peut être considéré comme un fossile et pourtant il regorge d’une vie incroyable : les scientifiques n’arrivent pas à se mettre d’accord sur le nombre d’espèces : 100 000 ou 200 000 dont le tiers demeure un mystère pour la science encore. Rien que l’histoire de la fourmi Nothomyrmecia est incroyable : en 1931 en Australie, des naturalistes amateurs tombèrent sur cet insecte que personne n’avait encore jamais vu : elle ressemblait à une fourmi mais était jaune pâle et avait des yeux étranges. Ils expédièrent quelques insectes sur le bureau d’un expert à Melbourne qui l’identifia sur le champ : personne n’avait vu cet insecte depuis 100 millions d’années. C’était une protofourmi survivante d’une époque où les fourmis commençaient à se différencier des guêpes (c’était comme de découvrir un troupeau de tricératops en train de brouter sur de lointains pâturages !)

La Grande Barrière de corail couvre entre 280 000 et 350 000 Km carrés. Elle s’étend sur 1900 Km du nord au sud. Elle est plus grande que le Kansas, que l’Italie, que le Royaume Uni. C’est l’équivalent marin de la forêt amazonienne; elle abrite au moins 1500 espèces de poissons, 400 types de coraux et 4000 variétés de mollusques. Ce sont des estimations car personne ne les a comptées.

Il y a environ 45 à 60 000 ans le continent a été envahi par un peuple mystérieux, les Aborigènes sans aucune similitude raciale ni linguistique avec les peuplades voisines. Leur présence ne peut s’expliquer que s’ils ont inventé la navigation transocéanique bien avant le reste de l’humanité pour se livrer à une sorte d’exode de masse, mais ces mêmes gens auraient oublié ensuite toutes ces techniques de navigation… La seconde invasion a commencé avec l’arrivée du capitaine Cook sur le navire HMS Endeavour en 1770 dans la rade de Botany Bay. Il s’en est fallu d’un cheveu que ce soit le comte La Pérouse qui découvre l’Australie car il est arrivé à Botany Bay par l’est avec deux bateaux sous ses ordres en accomplissant un voyage d’exploration de deux ans dans le Pacifique. Si La Pérouse avait été plus rapide, il aurait pu proclamer l’Australie terre française et épargner ainsi à ce pays deux cents ans de cuisine britannique !

On ignore combien l’Australie comptait d’Aborigènes à l’arrivée des premiers Britanniques. Entre 300 000 et un million selon les sources. Mais durant le premier siècle de la colonisation leur nombre décrut de façon catastrophique car ils n’offraient aucune résistance aux maladies européennes – variole, pleurésie, syphilis, varicelle, grippe.

La faune australienne est surprenante. Il y a même des vestiges des premières structures organiques apparues sur terre, encore vivantes aujourd’hui après trois milliards d’années (soit les 3/4 de l’existence de la planète Terre). Ce sont les stromatolites dont toute la vie se déroule en surface (comme pour le corail) ; ce que l’on voit est la masse morte des générations précédentes; ils sont difficiles à décrire car ils sont d’une nature si primitive qu’ils n’adoptent pas une forme régulière et ils se développent sans plan précis, en grosses masses irrégulières. En regardant bien l’on aperçoit quelques bulles d’oxygène qui s’échappent en chapelet de la formation solide. Cette émission d’oxygène est la seule chose que savent faire les stromatolites, mais c’est la chose qui a permis la vie sur terre. Les bulles sont produites par des cyanobactéries en forme d’algues, des micro-organismes vivant à la surface de la masse rocheuse- plus de trois milliards par mètre carré- qui captent les molécules de dioxyde de carbone et une fraction d’énergie solaire. Le sous- produit de ce simple processus est la production infinitésimale  d’oxygène qui s’est répétée pendant des milliards d’années, ce qui a permis l’éclosion de la vie. Cette forme de vie a fait augmenter de 20% le niveau d’oxygène terrestre assez pour permettre le développement d’organismes plus complexes.

Parmi les formes évoluées du règne animal, l’Australie possède plus de bestioles tueuses que le reste du monde : les dix serpents les plus venimeux sont tous australiens; cinq autres créatures qui y vivent sont les plus mortelles de leur catégorie : l’araignée, la méduse, le poulpe, la tique et le poisson-pierre. Il possède aussi les vers géants du Gippsland : Megascolides australis, les plus grands vers du monde : ils atteignent 4 mètres de long et 15 cm de diamètre, on les entend se déplacer sous terre avec des borborygmes sourds.

On dénombre en Australie quelque 700 variétés d’eucalyptus : eucalyptus blanc, fantôme, rouge, faiseur de veuve, eucalyptus gribouillé, gommier bâtard, etc sans oublier le fameux stringybark dont l’écorce se détache en longs lambeaux avec ses branches qui pendent en grappes fibreuses. Comment expliquer qu’un pays qui semble si hostile à toute forme de vie ait pu produire une telle diversité botanique? Ce paradoxe s’explique en partie par la pauvreté du sol. Les plantes ont tendance à se spécialiser.  Telle plante tolérera de fortes concentrations de nickel, telle autre deviendra résistante au cuivre, une autre s’habituera au nickel et au cuivre. A plantes spécialisées, insectes spécialisés. L’autre explication tient à l’isolement de l’Australie. Avec 50 millions d’années d’insularité la vie indigène a été protégée de toute compétition et certaines espèces ont pu développer une sorte de monopole (eucalyptus, marsupiaux). Globalement, on peut décrire le pays comme un ensemble de petites poches de vie séparées par d’immenses étendues d’aridité.

Un livre qui se dévore, tant il fourmille d’anecdotes et de données intéressantes. Mais je dois vous avouer quelque chose : cela ne me donne pas envie de le visiter : trop loin, trop de déplacements et…ces bestioles.

Autre livre commenté : Ma fabuleuse enfance dans l’Amérique des années 50.

NOS VOISINS DU DESSOUS, Petite Bibliothèque Payot 554 (2005)  ISBN 978-2-228-89991-8

Chronique japonaise de Nicolas Bouvier

Nicolas Bouvier était un écrivain-voyageur et photographe suisse (1929-1998). Son livre de 1963: L’usage du monde: voyage de Belgrade à Kaboul,  est devenu un livre culte, considéré comme un chef d’oeuvre de la littérature de voyage, un livre référence pour de nombreux voyageurs et écrivains.

L’écriture de Bouvier naît du voyage et de la contemplation que ce dernier procure; Nicolas Bouvier est le chantre de l’aventure authentique dans une langue très personnelle (et très suisse), riche, imagée, sensuelle parfois, poétique souvent.

Chronique japonaise est un très bon essai sur le Japon écrit par quelqu’un qui l’a connu en vrai baroudeur dans les années soixante, à une période où les européens de passage étaient une rareté. De plus Nicolas Bouvier s’est donné la peine de parler un peu le japonais, ce qui est remarquable de courage quand on connaît la complexité de cette langue (je sais de quoi je parle car ma fille a une licence de japonais et possède avec peine seulement quelques milliers de kanjis qui lui permettent de tenir une conversation; je reste ébaubie quand je l’entends parler en japonais).

Ce petit livre fourmille de connaissances délivrées à petite dose et de façon assez amène avec beaucoup de bienveillance et de respect. On sent que Nicolas Bouvier aime profondément ce peuple. L’auteur possède par moments un style poétique du plus bel effet pour nous parler de ce pays où l’esthétisme est fondamental, car ce serait le peuple le plus esthétisant du monde, un pays où la musique classique est élevée au rang de religion (Karasiku).

Les Japonais émaneraient directement du ciel car les anciens mythes nationaux expliquent qu’au VIIIè siècle de notre ère et par ordre impérial, ces mythes furent réunis dans le Kojiki et le Nihongi, livres sacrés du culte shinto. Le peuple japonais est donc d’essence divine.

L’écrivain a saisi fort bien l’âme nippone; cela rend son récit crédible et son discours intéressant. Par exemple, il relève l’horreur qu’ont les Japonais de l’imprévu et des décisions que cela exige; en effet les Japonais sont disciplinés dans toutes leurs démarches,  appliquent à la lettre ce qu’on leur a inculqué et obéissent aux règles;  attention, ne les décevez pas, parce que la déception est souvent irréversible.

Les Japonais (comme souvent en Asie) ont le culte des aînés et les vieillards sont vénérés. C’est peut-être parce que la soixantaine passée, la société les démobilise assez pour que l’humour leur revienne, et que la gentillesse naturelle aux Japonais suive librement sa pente (page 181).

L’explication de Bouvier sur le shintoïsme et le bouddhisme est fort intéressante; sa conviction est que deux choses aussi excellentes ne pouvaient que s’entendre avec le génie bien japonais du compromis. Et de ces deux religions si totalement différentes, les Japonais n’en on fait qu’une: le ryobu-shinto. Depuis quinze siècles qu’ils coexistent, jamais le Bouddha et le Shinto n’ont été en conflit ouvert, et, dans le jardin d’un temple bouddhique il y a toujours un petit sanctuaire shinto décoré de fleurs (page 34).

On apprend que si aujourd’hui l’on donne de gracieux noms de femme aux typhons, au XIIIè siècle les Japonais baptisèrent un typhon « Vent-Dieu » = Kami kaze(parce que salvateur) en japonais, nom que les pilotes suicides de la guerre du Pacifique, reprendront  à leur compte.

Pour ceux qui ont visité le Japon, ce petit livre est un bijou qui leur fera  peut-être se remémorer un voyage initiatique au Pays du Soleil Levant grâce aux connaissances empathiques de Monsieur Bouvier, connaissances d’une grande humanité.

Autre livre commenté : Il faudra repartir (Voyages inédits).

CHRONIQUE JAPONAISE, Petite Bibliothèque Payot 2000 (Payot 1989),  ISBN 978-2-228-89400-5