Chronique japonaise de Nicolas Bouvier

Nicolas Bouvier était un écrivain-voyageur et photographe suisse (1929-1998). Son livre de 1963: L’usage du monde: voyage de Belgrade à Kaboul,  est devenu un livre culte, considéré comme un chef d’oeuvre de la littérature de voyage, un livre référence pour de nombreux voyageurs et écrivains.

L’écriture de Bouvier naît du voyage et de la contemplation que ce dernier procure; Nicolas Bouvier est le chantre de l’aventure authentique dans une langue très personnelle (et très suisse), riche, imagée, sensuelle parfois, poétique souvent.

Chronique japonaise est un très bon essai sur le Japon écrit par quelqu’un qui l’a connu en vrai baroudeur dans les années soixante, à une période où les européens de passage étaient une rareté. De plus Nicolas Bouvier s’est donné la peine de parler un peu le japonais, ce qui est remarquable de courage quand on connaît la complexité de cette langue (je sais de quoi je parle car ma fille a une licence de japonais et possède avec peine seulement quelques milliers de kanjis qui lui permettent de tenir une conversation; je reste ébaubie quand je l’entends parler en japonais).

Ce petit livre fourmille de connaissances délivrées à petite dose et de façon assez amène avec beaucoup de bienveillance et de respect. On sent que Nicolas Bouvier aime profondément ce peuple. L’auteur possède par moments un style poétique du plus bel effet pour nous parler de ce pays où l’esthétisme est fondamental, car ce serait le peuple le plus esthétisant du monde, un pays où la musique classique est élevée au rang de religion (Karasiku).

Les Japonais émaneraient directement du ciel car les anciens mythes nationaux expliquent qu’au VIIIè siècle de notre ère et par ordre impérial, ces mythes furent réunis dans le Kojiki et le Nihongi, livres sacrés du culte shinto. Le peuple japonais est donc d’essence divine.

L’écrivain a saisi fort bien l’âme nippone; cela rend son récit crédible et son discours intéressant. Par exemple, il relève l’horreur qu’ont les Japonais de l’imprévu et des décisions que cela exige; en effet les Japonais sont disciplinés dans toutes leurs démarches,  appliquent à la lettre ce qu’on leur a inculqué et obéissent aux règles;  attention, ne les décevez pas, parce que la déception est souvent irréversible.

Les Japonais (comme souvent en Asie) ont le culte des aînés et les vieillards sont vénérés. C’est peut-être parce que la soixantaine passée, la société les démobilise assez pour que l’humour leur revienne, et que la gentillesse naturelle aux Japonais suive librement sa pente (page 181).

L’explication de Bouvier sur le shintoïsme et le bouddhisme est fort intéressante; sa conviction est que deux choses aussi excellentes ne pouvaient que s’entendre avec le génie bien japonais du compromis. Et de ces deux religions si totalement différentes, les Japonais n’en on fait qu’une: le ryobu-shinto. Depuis quinze siècles qu’ils coexistent, jamais le Bouddha et le Shinto n’ont été en conflit ouvert, et, dans le jardin d’un temple bouddhique il y a toujours un petit sanctuaire shinto décoré de fleurs (page 34).

On apprend que si aujourd’hui l’on donne de gracieux noms de femme aux typhons, au XIIIè siècle les Japonais baptisèrent un typhon « Vent-Dieu » = Kami kaze(parce que salvateur) en japonais, nom que les pilotes suicides de la guerre du Pacifique, reprendront  à leur compte.

Pour ceux qui ont visité le Japon, ce petit livre est un bijou qui leur fera  peut-être se remémorer un voyage initiatique au Pays du Soleil Levant grâce aux connaissances empathiques de Monsieur Bouvier, connaissances d’une grande humanité.

Autre livre commenté : Il faudra repartir (Voyages inédits).

CHRONIQUE JAPONAISE, Petite Bibliothèque Payot 2000 (Payot 1989),  ISBN 978-2-228-89400-5

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