Archives

Nos espérances d’Anna Hope

Anna Hope est une écrivaine et ancienne actrice britannique (Manchester 1974); elle possède une maitrise en création littéraire.

Nos espérances (2019) est le quatrième livre que je lis à cette romancière et je crois que ce sera mon préféré pour le moment; les autres étant très bons aussi, mais celui-ci m’a captivé par l’acuité psychologique dans la description des personnages, mais aussi dans les situations dans lesquelles elle les place.

C’est un roman choral à trois voix, intimiste, doux-amer et générationnel, on peut dire aussi un roman de formation puisque nous suivrons de près les trois amies sur une longue période. Pour ceci, la romancière se sert de constants flash backs entre 1987 et 2008, ce qui comprend le debut de leur amitié et le milieu de la quarantaine, ce qui leur permet de faire le bilan de leurs espérances…

C’est l’histoire de l’amitié sur une vingtaine d’années de trois filles, trois filles assez différentes qui vont suivre aussi des chemins différents et vivront, forcément, des choses différentes tout en gardant et cultivant un attachement et une amitié suivie. C’est une amitié normale, c’est à dire avec ses hauts et ses bas, mais aussi avec ses vilenies.

Mais la vie reserve beaucoup de surprises, bonnes et moins bonnes, et les gens changent en conséquence. Alors, ces trois amies qui sont Hanna, Lissa et Cate auront un parcours semé d’ornières qu’elles essaieront de contourner. Les sentiments éprouvés sont variés : amour, désamour, rivalités, trahisons, position devant la maternité, le travail, le mariage, les relations avec les parents, la mort.

Hanna est mariée avec Nathan depuis des années. Le couple n’arrive pas à avoir un enfant, malgré les efforts désespérés de Hanna, qui pousse l’essai au détriment de son couple.

Lissa est une belle femme qui fait du théâtre et tire le diable par la queue, l’obligeant à faire des jobs éreintants et mal payés. Sur le plan sentimental, elle n’a jamais eu de compagnon durable ni valable.

Cate est aussi mariée et mère de famille, mais elle ne se sent pas heureuse, se remémorant ses amours saphiques de façon plutôt idéalisée, elle croit ne pas aimer son mari alors qu’il la couvre d’attentions et la protège.

Après la trentaine, l’insatisfaction de chacune est manifeste. Et l’incident arrive. C’était prédictible.

L’amitié des trois filles sera ébranlée. La trahison sera mise en évidence. Les culpabilités assumées et le pardon difficilement accordé.

Trois tranches de vie contemporaines, dans un récit vibrant de réalisme, avec ses moments de désespoir, et aussi ses moments de joie toujours passagère, sur fond d’amitié féminine où prédomine la communication, les échanges fréquents des expériences vécues.

Un roman qui m’a captivé par moments et où le drame de chacune m’a percé le coeur car la profondeur que Anna Hope a su insuffler à Hanna, Cate et Lissa est très réussie. Comment ne pas évoquer une part forte de autobiographie dans ce roman, puisque Anna Hope a mené un parcours d’actrice à Londres, métier qu’elle a abandonné pour se dédier à l’écriture après avoir suivi une formation ad hoc. Bien lui en prit, car elle est vraiment talentueuse, elle sait raconter une histoire.

Autrice à suivre.

Autres livres commentés : Le chagrin des vivants . La salle de bal . Le Rocher Blanc .

NOS ESPÉRANCES, Gallimard 2020 (AH 2019), ISBN 978-2-07-285139-1

Clara lit Proust de Stéphane Carlier

Stéphane Carlier est un écrivain français (Argenteuil 1971).

Clara lit Proust (2022) est déjà son huitième roman, roman qui lui a valu le Prix Littéraire proustien en 2022 et le Prix de l’Atelier (Ouest France) de la même année. Le livre a été aussi finaliste du Prix Maison Rouge (Biarritz).

Voici une lecture qui m’a beaucoup plu parce qu’elle est tout en finesse et bienveillance pour nous décrire l’univers de Clara.

Clara est coiffeuse chez Cindy Coiffure, un salon de province, tenu par la main de fer de Jacqueline Habib, la patronne. Elle y travaille avec un succès certain, entourée de ses collègues Nolwenn (qui rate son permis de conduire sans arrêt), Lorraine (et ses vertiges), Patrick, le surdoué en coiffure, mais ingérable comme salarié. Chaque personnage est un monde bien spécial qui dégage beaucoup de sympathie et de vérité. Les journées s’écoulent scandées par la musique de radio Nostalgie…L’ambiance d’un salon de coiffure est brossée à la perfection.

Et il y a les clients. Ah la belle galerie de portraits, chacun avec son trait bien particulier. C’est très drôle et en même temps très représentatif du temps présent, cela sonne véridique.

Clara vit depuis 3 ans avec JB, et elle sent qu’elle n’est plus amoureuse alors que le bellâtre JB fait l’envie de tout le monde, spécialement de la mère de Clara. Clara s’ennuie dans sa vie, elle s’étiole dans le Salon de Coiffure.

Un bon jour elle commence à lire Marcel Proust car un client de passage a oublié un tome en format de poche. Il a fallu à Clara plusieurs approches avant d’entamer une lecture suivie et avant de se laisser embarquer par la beauté du texte. Elle sera sidérée par l’écriture de Marcel Proust.

(Cela m’a semblé si bien vu, si réaliste, si adéquat. Et cela m’a ravivé des souvenirs pendant que je lisais Proust…Ce ne fut pas facile de prime abord, je puis dire que j’ai lu deux fois chaque tome car il me venait une espèce de narcose au bout de quelques pages, où je perdais complètement le fil. Et à chaque fois je m’obligeais à recommencer les pages qui étaient passées à la trappe, toutes, jusqu’à être capable de tirer le suc du récit. Mazette, elle a duré des mois cette lecture.) Pardonnez la digression…

Au fil des pages, Clara sera envoûtée, captivée par la beauté du texte. Elle n’aura de cesse que de lire tout Proust jusqu’à négliger le beau JB qui peut aller voir les grecs si ça lui chante (en fait il ira voir d’autres nanas plus accueillantes).

Cette lecture lui ouvrira d’autres horizons, elle va s’orienter vers un milieu artistique et épousera un artiste qui lui donnera une fille, Isabella, qui nous racontera la fin de cette histoire « conte de fées ».

Un régal de fraicheur ce roman, il m’a fait l’effet « bulle de champagne », pétillant , aérien, drôle. Ce fut la même impression après la lecture de En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeau (2016).

CLARA LIT PROUST, Gallimard 2022, ISBN 978-2-07-299130-1

Le dernier chapitre de Jean-Marie Palach

Jean-Marie Palach est ingénieur et haut fonctionnaire (énarque) né dans le Sud-Ouest, il reside à Paris.

Le dernier chapitre (2023) est son sixième roman. C’est un roman moderne qui raconte une grande histoire d’amour entre deux êtres qui semblaient faits l’un pour l’autre; de plus ils semblaient d’un bon niveau intellectuel, suffisant pour réfléchir de façon sensée à leur problème.

Car au bout de trois années d’heureuse cohabitation entre Léa et Mattéo, Léa apprend qu’elle a un problème de santé et laisse un laconique message à son compagnon : « je pars, ne me cherche pas ».

Mattéo essaie de retrouver mollement la piste de sa femme, se contente du fait, retombe dans des habitudes néfastes et laisse passer 6 mois sans se soucier plus que cela. Egoïsme masculin? Indolence de caractère?

J’ai trouvé que les personnages étaient comme des prototypes. Il y a énormément de clichés dans le récit. Tout me sonnait faux, léger à outrance. Le mélo larmoyant m’aurait semblé insupportable vu le contexte, mais cet air bon enfant forcé dans ce roman ne m’a pas convenu.

En revanche, l’aspect très aéré du texte m’a facilité la lecture.

DAPHNIS ET CHLOÉ 2023, ISBN 979-10-253-0074-9

Les Jolis Garçons de Delphine de Vigan

Les jolis garçons (2005) est le deuxième roman de l’écrivaine, après Jours sans faim. C’est un court roman qui comporte trois histoires d’amour et une héroïne, Emma Pile 26 ans, un personnage touchant car fragile de toute évidence.

On reconnaît déjà l’écriture particulière de l’auteure, aérienne, ayant le sens de la phrase enlevée et un don d’observation très fin et poussé. De plus, Delphine de Vigan montre beaucoup d’humour ironique.

Les trois histoires sont différentes, assez bien travaillées et les trois ont des chutes surprenantes. Je préfère la première histoire qui a eu la particularité de me surprendre.

La première histoire m’a semblé un bel exemple d’érotomanie. Une histoire d’amour poussée au paroxysme par Emma Pile avec Mark Stevenson, un avocat qui finalement reviendra à sa femme.

Puis l’histoire brève avec un écrivain célèbre, Ethan Castor, qu’elle admire, mais lui, avec son ego démesuré, ne s’intéresse à elle que pour la rajouter à son tableau de chasse.

La dernière histoire concerne l’idylle bling-bling avec Milan Mikaev, un présentateur vedette de la TV qui veut étaler sa vie privée avec indécence. Ici c’est elle qui rompra cette liaison toxique.

Trois rencontres et trois ratages qui laisseront, je l’espère, une leçon à Emma Pile.

Un livre qui se lit comme un exercice de style.

Autres livres commentés : Les heures souterraines , Les loyautés , Les gratitudes , Les enfants sont rois . No et moi . Jours sans faim .

LES JOLIS GARÇONS, Livre de Poche 2012 (DdV 2005), ISBN 978-2-253-12481-8

La maison des hollandais d’Ann Patchett

Ann Patchett est une femme de lettres nord américaine (Los Angeles 1963), installée à Nashville depuis ses 6 ans, où actuellement elle tient une librairie.

La maison des hollandais (The Dutch House 2019) est déjà le huitième roman d’Ann Pratchett, un roman sur la famille, l’abandon, et le rapport de chacun avec le passé. Ce roman a été finaliste du Prix Pulitzer de fiction en 2020.

Dans la couverture nous avons un portrait par Noah Saterstrom, commandé expressément par l’écrivaine pour illustrer son livre; il représente l’une des protagonistes, Maeve Conroy à 10 ans, portant son manteau rouge. La maison décrite dans le livre est le produit de l’imagination de l’auteure, en revanche, cette banlieue chic de Philadelphie existe bel et bien.

Le personnage principal de ce roman est une maison, dite « maison des hollandais », construite en 1920 dans la banlieue chic de Philadelphie pour des riches hollandais, les Van Hoebeek, enrichis avec le commerce des cigarettes et ruinés après le krach boursier de 1929. C’est une demeure fastueuse, construite au centre d’un parc et meublée avec luxe.

Elle a été achetée en 1946 par Cyril Conroy, un self-made man, un entrepreneur ayant fait fortune. Il l’a acheté meublée avec y compris, une partie des serviteurs.

Cyril Conroy est marié et père de deux enfants : Maeve et Danny, la fille est l’ainée de 7 ans. Mais le mariage des Conroy ne va pas résister à cette folie des grandeurs architecturale et la mère disparaitra assez rapidement, laissant mari et enfants. Honnêtement, je pense qu’il existait bien d’autres différends dans le couple qui ne seront pas abordés dans le roman pour expliquer un tel acte d’abandon.

Lors du départ de la mère, Maeve a 10 ans et Danny 3 ans; c’est un choc pour Maeve qui va se retrouver malade et désemparée, tout en gardant toujours une présence bienveillante sur son frère. Et plus tard elle se comportera comme une véritable mère, essayant de le protéger et de le conseiller en toute circonstance. Elle se fera seconder par les employées de maison, toutes efficaces et chaleureuses.

Il y a un équilibre dans cette maison jusqu’au jour où le père annoncera a ses enfants qu’il va se remarier avec une femme beaucoup plus jeune, Andrea, mère de deux filles et qui rapidement va prendre possession de la maison et imposer sa loi. Dans ce contexte, et assez rapidement, le père Cyril Conroy, va mourir de crise cardiaque.

Nous apprendrons à cette occasion que c’est Andrea qui hérite de tout, laissant juste un fond de pension qui couvre les études de Danny. Rapidement frère et soeur seront chassés de la maison, ainsi que tous les employés; le frère et la soeur vivront plutôt chichement.

C’est Maeve qui veillera à ce que Danny entame des études sérieuses, elle même étant déjà diplômée et gagnant sa vie comme comptable. Danny suivra des études de Médecine dans la prestigieuse université de Columbia à New York, mais n’exercera pas, car il souhaite continuer le métier d’entrepreneur de son père.

L’histoire est écrite à la première personne par Danny déjà adulte, nous saurons peu de choses sur lui, rien sur ses pensées intimes; je regrette que ce ne soit pas Maeve qui raconte parce que je l’ai trouvé bien plus intéressante.

La maison est la grande protagoniste de cette histoire familiale, car depuis leur enfance jusqu’à l’âge adulte, ils vont être hantés par cette demeure qui a forgé leurs destins, plutôt funestes. L’autre grand thème du roman est la relation frère-soeur, très forte malgré d’énormes différences de caractère.

J’ai été un peu perturbée par les sauts temporels du récit, mais sans que cela nuise trop à la compréhension. Je me suis aussi posée la question sur la filiation des deux filles d’Andrea, car à deux reprises l’une d’elles corrige le frère (ou la soeur) Conroy pour se déclarer demi-soeur. Peut-être que ce père aussi secret et taiseux avait une relation ancienne avec Andrea. En tout cas il n’y a aucune explication à cette hypothétique relation, comme aucune explication à la spoliation des deux enfants Conroy, ni aucune explication à la longue relation amoureuse que Maeve maintient avec son boss.

Un roman assez énigmatique, terriblement addictif.

Autre livre commenté : Orange Amère . Dans la course .

LA MAISON DES HOLLANDAIS, Actes Sud 2021 (AP 2019), ISBN 978-2-330-14440-1

Fringues de Christine Orban

Christine Orban est une romancière, dramaturge et critique littéraire française (Casablanca 1957). Elle a publié son premier livre en 1986 (Les petites filles ne meurent jamais) sous le nom de Christine Rheims.

Fringues (2002) se veut un livre léger comme une bulle de champagne sur un sujet qui prête à critiques, particulièrement en ce moment de grande détresse mondiale, mais, il a été écrit il y a 20 ans lorsque les perspectives étaient plus souriantes, plus futiles.

C’est un pamphlet sur une fashion victim, Darling, une acheteuse compulsive frôlant le pathologique.

Darling passe ses journées an Bon Marché où elle déniche des vêtements et accessoires qu’elle ramène chez elle. Parfois elle ne les mettra jamais, parfois une seule fois. Si le vêtement a servi pour une cause spéciale, alors elle le mettra sous housse avec la date et l’étiquette de l’évènement. Les vêtements sont la mémoire de Darling.

Elle a été mariée, mais elle s’est désintéressée de son mari; elle a divorcé et vit grâce à une succulente pension que lui permet tous les excès de shopping.

Elle a aménagé son appartement en fonction de ses fringues, tout est pour la collection et chaque fois qu’un sentiment négatif la touche, qu’elle ressent de la peine, elle va se vautrer dans ses placards, se cacher véritablement, en attendant que l’orage passe.

(Le personnage est si outrancier, si excessif, si pitoyable par moments qu’il relève plutôt de la psychiatrie d’urgence).

Malgré cette débauche de fringues, Darling est un personnage qui a un besoin terrible d’être rassurée. Il faudrait simplement, pour se simplifier la vie, qu’elle fasse un transfert sur autre chose, moins dispendieuse. Mais cela se travaille avec un psychiatre et nécessite du temps.

En dehors de cet aspect frivole, cette cigale est une personne avec un physique apparemment avantageux et qui ne manque pas de culot ni d’à propos.

Elle va tomber amoureuse de « Dieu », médecin, professeur d’hématologie qui a sauvé la riche MTL de la mort. Il est bien connu que même un professeur de médecine gagne chichement sa vie et l’on peut rêver au syndrome de sevrage que Darling va subir si elle réussit à freiner ses instincts de « serial shoppeuse » pour vivre avec Dieu et tenir dans le temps…

Un livre drolatique et léger sur les milieux de la mode et des personnalités qui en deviennent dépendantes; un hommage est rendu au créateur Emanuel Ungaro, qu’elle semble connaitre depuis très longtemps. L’auteure a voulu s’attaquer au tabou de la frivolité. Christine Orban aurait inventé le terme « hippie chic » pour Paris Match, elle qui dit aimer avant tout le mélange de styles.

Ici ce sont les fringues « consolation », les fringues qui cachent une personnalité en souffrance. In fine, c’est la fringue plutôt triste.

Autres livres commentés : Virginia et Vita, Le pays de l’absence, Charmer, s’égarer et mourir.

FRINGUES, Albin Michel 2002, ISBN 2-226-13183-3

Avant toi de Jojo Moyes

Afficher l'image d'origineJojo Moyes est le surnom de Pauline Jo Moyes, une journaliste et romancière britannique (Londres 1969) deux fois primée avec Le Livre Romantique de l’année (Romantic Novelist’s Association Award ou RNA Awards). Elle est devenue romancière à plein temps à partir de 2002 après la publication de son premier succès: Sous la pluie.

Avant toi (Me Before You, 2012) a été adapté au cinéma par Thea Sharrock avec Emilia Clarke dans le rôle de Louisa Clark (prédestinée, hein?) et Sam Claflin dans le rôle de Will Traynor. Ce film passe encore dans les salles et je l’ai vu malgré mes réticences au sujet de la trame. Je reconnais que c’est un bon et beau film, plein d’émotions et assez proche du livre. Peu de choses ont été changées, mais j’ai noté que la différence sociale entre les deux familles est plus nuancée dans le film que dans le livre. L’actrice qui joue le rôle de Louisa est désarmante de naturel avec ses mimiques naïves semblant tellement sincères; l’acteur qui joue le tétraplégique est très beau et joue aussi à la perfection. J’ai ressenti beaucoup plus d’émotion avec le film qu’avec le livre. En dehors de l’aspect sentimental et romantique à outrance, ce film soulève un problème intéressant pour lequel nous sommes encore très mal armés car il déclenche chez les gens un flot d’affectivité irraisonnée; je parle de la mort assistée et voulue par un individu en totale souffrance et en pleine possession de ses fonctions supérieures.

Avant toi est un pur roman dans le genre chicklit, un genre que je n’affectionne pas. C’est  Jean-Claude, un ami,  qui m’a a parlé de ce livre dans des termes élogieux, ce qui a réveillé immédiatement mon insatiable curiosité de livrivore pas omnivore…

Ce n’est pas une lecture que j’ai aimé parce que j’ai trouvé que l’histoire et la plupart des situations sont mièvres, empreintes d’une fausse gaité, jouant à fond sur la fibre sentimentale du lectorat. Mais je reconnais à Jojo Moyes plusieurs points forts comme celui de developper un sujet intéressant: l’histoire d’un type en pleine forme (34 ans) atteint d’une tétraplégie traumatique après avoir été percuté par une moto.  Elle aborde aussi un sujet difficile celui de programmer son propre suicide assisté. Ayant lu à droite et à gauche que ce livre plagiait le sujet du très bon film français Intouchables, que j’avais adoré, et même si les sujets sont proches, Jojo Moyes a su imprimer d’autres points d’intérêt à la trame. Par exemple, la confrontation des deux milieux sociaux est excellente: le milieu froid et huppé de Will Traynor contrastant avec le milieu de prolétaires pur-jus de Louisa Clark, ô combien naturel et riche en affection pour leurs filles. Le descriptif du quotidien de la vie des parents de Louisa est saisissant de vérité: la mère dévouée pour sa famille y compris pour son vieux père gâteux, le mari au bord du chômage, la soeur soi disant  très intelligente mais qui compromet ses études par une grossesse, l’intelligence en friche de Louisa qui se coule dans une vie morne et inintéressante mais qui fait bouillir la marmite de la maison, la vie végétative du grand père, le fiancé de longue date de Louisa, Patrick, qui se noie littéralement dans les endorphine libérées à flots avec le sport qu’il pratique à outrance à tel point qu’il anesthésie totalement sa libido. La soeur de Louisa est Treena,  l’intelligente de la famille qui abuse égoïstement de ses prérogatives vis-à-vis de sa soeur. Bref tout un descriptif minutieux  bien vu et bien exprimé par des dialogues adaptés et savoureux; l’ensemble me rappelle le style des films hyperréalistes de Stephen Frears. Il y a entre les lignes une note sociale revancharde, comme par exemple page 362 quand Louisa assiste au mariage d’Alicia, l’ex de Will, et s’exclame…Le matin du mariage, il faisait beau et l’air embaumait exactement comme je l’avais secrètement pressenti. Les filles comme Alicia ont toujours un petit coup de pouce du destin quand il faut. Quelqu’un avait sans doute glissé un mot pour elle dans l’oreille des dieux du climat… 

L’histoire en bref est la suivante : Will Traynor est percuté par une moto et sa vie bascule (un exemple du danger réel que represente de parler sur le téléphone portable en traversant la rue…). Deux années après il vit (mal) sur un fauteuil roulant et dépend entièrement d’autrui; il est très fragile aux infections. Il a à sa disposition un infirmier tous les jours, puis une aide soignante qui sera Louisa qui n’a aucune formation dans la vie en dehors de sa fraicheur naturelle, une intelligence qui n’a pas été , disons, développée. Louisa et Will vont se rencontrer, dans des conditions bien particulières et ils ne sont pas faits pour s’entendre. Tout les sépare. Chacun reste sur ses campements et peu à peu ils vont découvrir des horizons insoupçonnés. Will n’accepte pas sa condition de totale dépendance et Lou s’acharnera à le faire changer d’avis par tous les moyens. Ici la romancière développe beaucoup, on sent qu’elle s’est bien documentée, même si elle s’éloigne de la réalité par moments (page 115 ..il a fallu presque 40 minutes pour ramener la température de Will à un niveau acceptable. Pendant que nous attendions que l’antibiotique fasse effet…Je commente: on ne peut pas attendre qu’un antibiotique fasse effet, cela prend au moins 48 heures, c’est le médicament contre la fièvre qui peut agir aussi vite… La fin est logique avec le personnage de Will, cela peut paraitre dur, mais c’est la solution acceptable de son point de vue à lui car c’est le seul qui peut compter.

Afficher l'image d'origine

AVANT TOI, Bragelonne-Milady 2013,  ISBN 978-2-8112-1193-6

Les rêves sont faits pour ça de Cynthia Swanson

Afficher l'image d'origineCynthia Swanson est une écrivaine nord-américaine (née à Milwakee, Wisconsin) connue pour des courtes publications dans des revues et qui est designer spécialisée dans le style des années 60. Les rêves sont faits pour ça (The bookseller, 2015) est son premier roman qui a connu un certain succès outre Atlantique du fait notamment qu’elle décrit bien la ville de Denver où a lieu la trame. Le titre donné en français me paraît fade, bien à l’image du roman. C’est de la chick lit.

C’est un livre que j’ai apprécié moyennement. La spécialisation de Mme Swanson dans le style des années 60 a fait que elle a inondé son roman de clichés vestimentaires, décoratifs, littéraires, les voitures et musicaux correspondants à ces années là. Toutes les trentenaires voulaient ressembler à la mythique Jacqueline Bouvier-Kennedy ! Il se trouve que dans ces années là les femmes se retrouvaient devant un choix sociétal difficile et fondamental. Il fallait choisir entre deux situations : l’indépendance avec carrière réussie ou la maternité entourée d’un certain romantisme. D’aucunes se posaient, avec bravoure, la question de savoir si elles pouvaient réussir les deux situations à la fois. Pourquoi pas?

Il y a deux strates dans ce roman, un fictif et l’autre « rêvé » et une héroïne dans chaque décor : Kitty et Katharyn. Kitty représente la femme indépendante mais seule et Katharyn la femme ayant fait un beau mariage, vivant dans l’aisance mais assujettie à des devoirs pesants puisqu’elle est mère de triplets (elle est allée fort l’écrivaine!) dont un des garçons est autiste; elle fait difficilement face à la situation. Or la théorie ambiante dans ces années là sur l’autisme et aux USA consistait à culpabiliser la mère en disant que l’autisme de l’enfant venait d’une attitude froide et distante de la mère. Il y avait de quoi sombrer dans la dépression pour ces pauvres femmes enfermées avec un enfant autiste à la maison ! hein ?

Dans le roman nous basculons entre le monde réel de Kitty (?) et le monde fictif de Katharyn. Lequel est le « vrai », l’écrivaine en arrive à décontenancer la lectrice, mais ces allers-retours sont tout de même agaçants. Il est clair que les deux ambiances ont de bons et de mauvais côtés. Tout n’est pas rose ni noir. La thèse de l’écrivaine est peut-être de nous dire que quel que soit le choix que nous ferons, rien n’est gagné d’avance, rien n’est facile, tout choix comporte des risques.

Certaines ont fait le rapprochement de ce livre avec le film de Peter Howitt de 1998 Pile et Face (Sliding Doors) avec Gwyneth Paltrow où deux vies auraient pu être vécues. Ce n’est pas le cas ici.

Lecture dans le cadre de Masse Critique. Un grand merci à Babelio et aux Éditions Mosaïc pour l’expérience.

LES RÊVES, Mosaïc 2016,  ISBN 978-22803-4286-5