En toute franchise (4) de Richard Ford

Richard Ford est un écrivain nord-américain du Sud (Jackson 1944), lauréat du prix Pulitzer, du prix Femina 2013 et du prix Princesse d’Asturies pour l’ensemble de son oeuvre. Ses maitres littéraires, pour Ford, sont Alice Munro, la championne du discours indirect libre, James Salter pour sa précision, sa cruauté et sa mélancolie et Raymond Carver pour certains.

Le style d’écriture de Ford est assimilé au réalisme sale (dirty realism), un mouvement littéraire américain dérivant du minimalisme et émergeant dans les années 70-80 du siècle dernier, lancé par Bill Buford dans un numéro de la revue littéraire Grant. Les écrivains assimilables à ce mouvement décrivent, avec des détails sordides les aspects les plus banals de la vie quotidienne dans un langage simple sans ornements. Ce groupe (Raymond Carver, Charles Bukowski, Tobias Wolff, etc) s’intéressait aux dépossédés de l’Amérique, les marginaux. En Amérique Latine ce mouvement a donné le realismo sucio, lancé par les auteurs cubains P.J. Gutiérrez et F. Velazquez, suivi ensuite par d’autres auteurs. En Espagne on retrouve aussi quelques représentants.

Richard Ford a déclaré en 2007 que le mouvement dirty realism n’était que stratégie de marketing. Il a dit aussi… il y a longtemps, qu’à mes yeux écrire sur les choses les plus sombres était un acte d’optimisme. Je le pense toujours. Et puis j’aimerais qu’on reconnaisse que je sais imaginer autre chose que des histoires sombres. Dans mes livres, il est essentiellement question de rédemption , de résilience.

En toute franchise (Let Me Be Frank with You, 2014) est le quatrième opus avec Frank Bascombe, un personnage très proche de l’Américain moyen qui dépeint l’Amérique à travers ses expériences, son vécu et son entourage. C’est assez noir, mais en même temps caustique, plein d’autodérision avec certains passages écrits au vitriol.

Le personnage de Frank Bascombe a pris vie depuis des décades et maintenant il fait partie du panthéon de figures littéraires nord américaines au même titre que Rabbit Angstrom de John Updike, Augie March de Saul Bellow ou le Nathan Zuckerman de Philip Roth.

Aussi Frank Bascombe a vieilli comme l’auteur; ils sont de la même génération et il n’est pas difficile de trouver des similitudes entre les deux (avouées par Ford lui même): ils mangent des All-bran au petit déjeuner, Bascombe comme Ford a aussi exercé au début comme reporter sportif, ils votent démocrate et ce sont des optimistes au mauvais caractère.

À l’heure actuelle ce sont plus de 2024 pages dédiées à Frank Bascombe depuis Un week end dans le Michigan (1986), Indépendance (1995), Etat des lieux (2006) et En toute franchise (2014).

Ce quatrième tome avec 4 nouvelles retrouve Frank Bascombe à 68 ans, en pleine forme, retraité comme agent immobilier, encore marié avec sa deuxième épouse Sally et réinstallé dans Haddam, New Jersey, la même banlieue du premier tome. Ces 4 nouvelles sont interconnectées et surviennent 2 semaines avant Noël, juste après la réélection d’Obama et du passage de l’ouragan Sandy qui a ravagé la côté du New Jersey en 2012.

Il est occcupé l’ami Bascombe, bien qu’à la retraite: il fait la lecture pour les aveugles dans une radio locale, il fait partie du comité d’accueil pour les anciens combattants qui rentrent d’Irak et d’Afghanistan, il rend une visite mensuelle à son ex, Ann, installée à Haddam dans une EPHAD de luxe et tout près de lui.

On saura peu de choses sur Frank, mais on saura beaucoup sur le gens qu’il fréquente. Les 4 nouvelles sont imprégnées du vécu d’autres personnes, mais Frank ne cesse de nous faire des commentaires sur tout, ce qui rend très visible le quotidien d’un américain retraité de classe moyenne. Et dans ces quatre histoires Frank Bascombe fera des choses qu’il ne souhaitait pas faire.

Dans la première histoire il est sollicité par l’acheteur de son ancienne maison en bordure de l’eau, maison qui s’est volatilisée avec l’ouragan et qu’il a eu la prescience de vendre à très bon prix huit ans auparavant.

Dans la deuxième, il fait rentrer dans sa maison une ancienne occupante qui va lui narrer des atrocités qu’il aurait préféré ignorer.

Dans la troisième il rend visite à Ann, son ex, avec son cadeau de Noël : un magnifique oreiller ergonomique. En la quittant il dit : rien ne me pousse à la toucher, l’embrasser, la prendre dans mes bras. Mais je le fais. C’est notre dernier charme. Qu’est-ce que l’amour, sinon une infinie série de gestes isolés?

Et dans la dernière histoire, il se sent obligé de rendre visite à un ancien pote du temps d’Un WE dans le Michigan, qui se meurt d’un cancer du pancréas et qui voudrait lui faire un aveu; ce malade en phase terminale est gardé par un personnage désopilant.

Vraiment excellentes ces nouvelles que j’ai lu sans en avoir lu les 3 tomes précédents.

Autres livres commentés :  Ma mère, Le bout du rouleau, Rien à déclarer.

EN TOUTE FRANCHISE, EDITIONS DE L’OLIVIER 2015 (RF 2014), ISBN 978-2-8236-0845-8

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