Mary Barton d’Elizabeth Gaskell

Résultat de recherche d'images pour "elizabeth gaskell"   Elizabeth Gaskell, née Elizabeth Cleghorn- Stevenson, fut une grande romancière britannique de l’époque victorienne (Londres 1810-Hampshire 1865). Vous pouvez apprécier ci-contre un portrait de l’écrivain à l’âge de 22 ans par le miniaturiste écossais William John Thomson qui était le frère de la deuxième épouse de son père.

Lorsque sa mère meurt, elle part vivre à Knutsford (où elle sera ensevelie), ville qu’elle immortalisera sous le nom de Cranford dans un roman éponyme et dans un autre roman intitulé Épouses et Filles où elle l’appellera Hollingford. Elizabeth Gaskell commencera à écrire pour combattre une dépression  suite au décès de son fils, William, mort à 9 mois de la scarlatine.

Elle fut l’amie de Charles Dickens et de Charlotte Brontë. Charles Dickens publia ses oeuvres dans son journal Household Words. On peut rapprocher cette  écrivaine de Jane Austen et de George Eliot.

Mary Barton est son premier roman (A Tale of Manchester Life, 1848). Pour un premier roman c’est un véritable coup de maitre. Car le livre est intéressant à plusieurs titres:

  1.  C’est un véritable bildungsroman victorien ou roman d’initiation , ou roman d’apprentissage car nous allons suivre la vie de Mary Barton sur plusieurs années.
  2. Mais c’est aussi un roman historique qui nous narre cette période terrible de 1839-41 lorsque la ville ouvrière de Manchester connut une crise économique sans précédent touchant les ouvriers du textile; les gens mouraient d’inanition ou de maladies infectieuses (typhus, tuberculose) liées aux conditions d’hygiène inexistantes. Au XIXè siècle on appelait Manchester ‘cottonopolis » en raison des nombreuses usines qui filaient le coton et vers 1835 elle était la ville la plus industrialisée du monde. La Révolution industrielle a fait la richesse mais aussi la misère de cette ville.
  3. Et aussi, probablement par influence de son ami Dickens, c’est un roman que l’on appelle en Angleterre un « roman à la cuillère d’argent » (Silver Fork Novel) c’est à dire un roman où le descriptif est finement détaillé, assez critique de l’ élégance clinquante et pleine de frivolités de la bourgeoisie; ceci contrastait avec le dénuement total de la classe ouvrière et paysanne.

J’ai eu du mal avec ce roman. Il faut lire environ 300 pages très descriptives sur les conditions de vie et la vie quotidienne de ces pauvres ouvriers pour situer l’action du roman, puis cette action va s’accélérer de façon notable avec un certain  suspense ce qui fait que le lecteur, sur la fin, ne pourra pas lâcher le roman.

Pour situer la cadre du sujet romanesque, page 135…pendant les trois dernières années, le commerce avait langui de plus en plus tandis que le prix des matières premières augmentait sans cesse. La disparité entre ce que gagnaient les classes laborieuses et le prix de leur nourriture entraînait plus souvent qu’on ne l’imagine la maladie et la mort. Des familles entières étaient réduites à la portion congrue, puis à la famine. Même les philanthropes qui avaient étudié la question furent obligés de reconnaître qu’ils ne savaient trop quelles étaient les causes réelles de cette misère. Toute l’affaire était d’une nature si complexe qu’il devint pratiquement impossible d’en comprendre les tenants et les aboutissants. On ne sera donc pas surpris d’apprendre qu’une hostilité considérable se développa entre les travailleurs et les classes supérieures pendant ces temps de privations. L’indigence et les souffrances des ouvriers éveillèrent dans l’esprit de beaucoup d’entre eux de tels soupçons qu’ils se mirent à considérer leurs législateurs, leurs magistrats, leurs employeurs et même les ministres de leur religion comme leurs oppresseurs et leurs ennemis en général, ligués pour les réduire à la prostration et à l’asservissement. Le mal le plus grave, le plus durable aussi, qui se déclara pendant cette période de dépression économique est le sentiment d’aliénation entre les différentes classes de la société…

Mary Barton est une très jolie jeune fille qui a perdu sa mère très tôt et qui vit avec son père, ouvrier textile et syndicaliste. Dès son adolescence elle sera placée comme cousette ce qui lui permettra d’apporter quelque argent au foyer qui s’appauvrit de jour en jour. Sa beauté exceptionnelle fera son malheur car le riche fils d’un potentat local va la harceler de ses assiduités alors qu’il n’est intéressé qu’à la séduire et la perdre comme ce fut le lot de tant d’autres jeunes femmes de l’époque. Mais Mary Barton a un amoureux de longue date, le fils des meilleurs amis de ses parents qu’elle snobe car elle rêve d’une fulgurante ascension sociale et d’épousailles avec le séducteur. Cela est impensable pour l’époque. Mais in extremis, Mary Barton va comprendre sa méprise et réaliser l’amour qu’elle porte à ce garçon d’humble extraction qu’elle connait depuis son enfance.

Les choses ne seront pas du tout faciles pour Mary Barton, elle aura à souffrir et à payer pour avoir un jour, cru qu’elle pourrait échapper à sa condition.

Elisabeth Gaskell était fille de pasteur et femme de pasteur. Il y a dans le livre une constante invocation à la religion et aux bons sentiments. Cela peut surprendre.

Ce roman diffère terriblement de Cranford, qui a été lu et apprécié pour son côté pittoresque et bon enfant ; je ne m’attendais pas à lire un roman aussi dur, à la limite du soutenable. Nous sommes très loin des marivaudages des personnages de Cranford, mais il y a un point commun entre les deux livres qui m’a frappé : c’est l’entraide réelle et efficace parmi les gens, même totalement démunis; ils sont capables de se déposséder de ce qu’ils n’ont pas pour venir en aide de plus malheureux. Vraiment touchant. Un autre détail qui m’a interpellé, est en rapport avec la consommation d’opium que les gens « chiquaient » ou donnaient aux enfants afin de ne plus les entendre pleurer de faim. Cet opium leur apportait un moment d’oubli. Pour se procurer l’opium ils étaient prêts à tout, y compris à mettre au clou les dernières et miséreuses possessions matérielles dont ils disposaient.

Un livre terrible qui rappelle des choses ignominieuses.

Autre livre commenté : Les dames de Cranford.

MARY BARTON, Grands Romans Points P4289 (EG 1847), ISBN 978-2-7578-5884-4

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