Les dames de Cranford d’Elizabeth Gaskell

Résultat de recherche d'images pour "elizabeth gaskell"  Elizabeth Gaskell, née Elizabeth Cleghorn- Stevenson fut une grande romancière britannique de l’époque victorienne. Lorsque sa mère meurt, elle part vivre à Knutsford, ville qu’elle immortalisera dans Cranford. Elizabeth Gaskell commencera à écrire pour combattre une dépression nerveuse suite au décès de son seul fils, William.

Elle peut être rapprochée de Jane Austen, une de mes romancières préférées, mais le style des deux romancières diffère du fait que les situations décrites par Gaskell ont parfois un côté assez drôle, très ironique dans le genre pince-sans-rire, dans la pure tradition britannique. Alors que les romans d’Austen présentent une vision très psychologique des personnages, toujours très taraudés par des questions d’héritage (très compliqué et spécial chez les britanniques), de classe sociale et de mariages. J’ai beaucoup aimé la fraicheur de Gaskell et je crois que je n’aurai de cesse que de lui lire tous ses romans.

Les dames de Cranford (Cranford 1853) est devenue une série télévisée de 5 épisodes de 60 minutes en 2007, diffusée par la BBC et dirigée par Simon Curtis et Steve Hudson avec Judi Dench dans le rôle de Matilda Jenkyns. Cette série est visible au complet sur Youtube mais en Anglais. Pour avoir regardé le premier chapitre, je peux dire que je n’ai rien reconnu du texte, mais le paysage et le décor y sont absolument délicieux. Il s’agit peut-être d’une libre adaptation.

Les dames de Cranford est une chronique savoureuse d’une petite ville du Nord de l’Angleterre, inspirée de la ville de Knutsford où Mrs Gaskell vécut. Dans le premier chapitre nous avons la présentation de la ville, de ses habitants et de la narratrice qui est Mary Smith, une belle jeune femme célibataire qui connait bien l’endroit et les habitants car autrefois elle et son père y ont vécu, mais actuellement ils habitent à Drumble, à quelques encablures de Cranford. Cranford a la singularité d’être habitée majoritairement par des femmes, ce qui explique que tout est soumis à critique, que tout est sujet de badinage, de commérage mais en gardant les formes. Il y règne une échelle sociale très stricte où chaque personnage doit garder son rang. La fréquentation de l’église est de rigueur.

Les dames de Cranford ne se permettent qu’une petite algarade de temps à autre qui se traduit par deux ou trois mots aigres-doux et un visage qui se crispe sous l’effet de la colère. C’est juste ce qu’il faut pour empêcher une vie uniforme de devenir monotone...

Dans ce cadre idyllique, arrive le Capitaine Brown, flanqué de ses deux filles. Très vite on saura que l’aînée est atteinte d’une maladie incurable. La plus jeune est jolie et totalement dévouée à son père et à sa soeur. Le Capitaine Brown sera beaucoup sollicité aux diverses manifestations de Cranford, mais les dames de Cranford craignent de ne pas savoir se comporter avec les Messieurs et nous aurons beaucoup de situations cocasses.

Je me demande comment les dames de Cranford a leurs soirées s’arrangèrent du capitaine Brown. Nous nous étions souvent félicitées précédemment de ne pas avoir à nous occuper  d’un monsieur et de ne pas devoir lui trouver de sujets de conversation pendant nos parties de cartes. Nous nous étions réjouies de notre confort et, dans notre passion pour la distinction, ainsi que dans notre aversion pour le reste de l’humanité, nous nous étions persuadées qu’il était « vulgaire » d’être un homme, si bien que, lorsque je découvris que l’amie qui m’hébergeait, Mlle Jenkyns, allait donner une soirée en mon honneur à laquelle le capitaine et les demoiselles Brown seraient invités, je me demandai bien comment allait se passer la soirée en question...

Il y a dans ce livre plusieurs personnages, hauts en couleur et tellement britanniques. Il y a par exemple la meneuse de la meute, la terrifiante et honorable Mme Jamieson veuve d’un révérend,  la plus huppée du bourg, celle que l’on craint car elle a un avis sur tout, c’est elle qui dicte les conduites. Il y a ensuite les deux soeurs Jenkyns, dont l’aînée, Déborah est un parangon de vertu et de savoir vivre, c’est elle qui donne le la à Cranford; sa soeur Matilda est totalement sous sa férule et la consulte à tout bout de champ lors des situations nouvelles. Les deux soeurs ont un frère, « le pauvre Peter » qui dut quitter Cranford à l’occasion d’une dispute homérique avec le père, car Peter était farceur et en se rendant ridicule, son père ne put le supporter. Cette société féminine où toutes se connaissent est assez chiche en dépenses; ces dames considèrent qu’elles ne sont pas obligées de suivre la mode londonienne et font des économies sur tout : le manger, les chandelles, le personnel, etc. Cela révèle une certaine pingrerie et aussi l’austérité de ce monde anglo-saxon tellement différent du monde latin où avant tout il faut paraître. Cette pratique est appelée par ces dames « une économie distinguée » car économiser était toujours distingué et dépenser, « vulgaire et ostentatoire », un raisonnement entaché de dépit qui leur apportait beaucoup de sérénité et de satisfaction.

Mais lorsque un membre de cette communauté est en difficulté, comme lorsque Mlle Jenkyns perdra sa soeur, elles se cotiseront toutes en cachette pour lui assurer un revenu décent qui lui permette de maintenir son rang.

La pauvreté était aussi indiscutable et aussi banale que la mort. Pourtant on n’en parlait jamais à haute voix dans la rue. Le mot ne devait pas être prononcé dans la bonne société. Tacitement, nous nous étions mises d’accord pour refuser d’admettre qu’une personne à même de nous visiter et d’être visitée sur un pied d’égalité pouvait être empêchée par un embarras financier de faire ce que lui plaisait. Si nous allions à pied à une soirée ou en revenions de même, c’était parce que la nuit était belle, l’air très doux, et non parce que les chaises à porteurs étaient chères. Si nous préférions un tissu imprimé à une robe de soie, la cause en était que nous voulions une étoffe qui se lavait, et ainsi de suite, au point d’être aveugles à une réalité peu brillante : toutes, nous vivions avec peu de moyens.

Lecture très agréable et distrayante où l’ironie est omniprésente.

Autre livre commenté : Mary Barton.

LES DAMES DE CRANFORD, Livre de Poche 33997 (EG 1853), ISBN 978-2-253-09868-3

Laisser un commentaire