Le roman du mariage de Jeffrey Eugenides

Jeffrey Eugenides est un écrivain américain (Detroit 1960) avec des origines grecques et irlandaises. Il détient un Master d’écriture créative de l’Université de Stanford; aujourd’hui il enseigne à Princeton. Il se dit un écrivain « lent », sortant un roman tous les six à dix ans, mais quels romans !

Le roman du mariage (The Marriage Plot 2011) est un pavé de plus de 500 pages comportant quelques longueurs, mais c’est tout de même un roman  intéressant: c’est un campus novel qui s’étire sur un peu plus d’un an  à partir de juin 1982 au sein de l’Université de Brown qui fait partie de l’Ivy League. Ce sont les années Reagan et le début de la crise économique; ce sont aussi les années de la fin des illusions. Ce livre est aussi un roman d’apprentissage. Trois jeunes étudiants initient leur vie d’adultes, non sans peine et avec beaucoup d’idées préconçues. Ils s’interrogent sur l’amour et se positionnent sur le mariage. Elle c’est Madeleine, une jeune fille de bonne famille férue de littérature et très influencée par le structuralisme, doctrine à la mode à cette époque  qui déferlait sur le département des études littéraires de l’Université de Brown en reléguant la critique classique au profit de la déconstruction des textes. Madeleine a un livre de chevet, c’est Fragments d’un discours amoureux de Barthes.

« Fragments d’un discours amoureux » était le remède parfait contre les peines d’amour. C’était un manuel de réparation pour le coeur, avec le cerveau pour seul outil. Si on utilisait sa tête, si on prenait conscience de la dimension culturelle dans la construction de l’amour et du fait que ses symptômes étaient purement intellectuels, si on comprenait que l’état amoureux n’était qu’une idée, alors on pouvait se libérer de sa tyrannie. Madeleine savait tout cela. Le problème, c’était que cela ne marchait pas. Elle pouvait lire Barthes déconstruisant l’amour à longueur de journée sans sentir la moindre atténuation de celui qu’elle portait à Leonard. Plus elle lisait « Fragments d’un discours amoureux », plus elle se sentait elle même amoureuse. Elle se reconnaissait à chaque page. Elle s’identifiait au « je » de Barthes (page 117).

Les deux autres personnages sont Mitchell qui est amoureux de Madeleine mais qui n’est pas aimé en retour; il en fera une crise mystique et fera un voyage initiatique en Europe puis en Inde où il se mettra à la disposition de Mère Teresa pendant quelque temps; on peut dire que Mitchell « attend son heure », il ne désespère pas de se faire aimer un jour par Madeleine. Le troisième personnage est Leonard, un garçon assez brillant mais dont la maladie bipolaire va se démasquer en fin de cycle d’études, mettant en danger ses expectatives de carrière. La maladie bipolaire ou psychose maniaco-dépressive, comme on l’appelait à cette époque, est très bien décrite avec l’ alternance de phases d’hypermanie et de dépression.

On peut rapprocher Mitchell de Jeffrey Eugenides car, comme lui, il a été étudiant à Brown au début des années 80, et comme lui, Eugenides est d’origine grecque et  il a été volontaire auprès de Mère Teresa en Inde; cela fait beaucoup de similitudes. Dans ce livre Jeffrey Eugenides nous livre un chassé-croisé amoureux et rejoue les scènes à la manière de Jane Austen, épousant le point de vue intime de chacun des trois protagonistes.

Sous des airs de campus novel, ce livre est par moments un vrai livre sur le mariage écrit avec humour et dérision. Les références littéraires sont très nombreuses faisant que le roman est riche sur le plan littéraire et intellectuel. Ce livre est intéressant; il donne envie de relire Barthes et Derrida.

Autres livres commentés : Middlesex, Virgin suicides.

LE ROMAN DU MARIAGE, Éditions de l’Olivier 2011,  ISBN 978-2-87929-0

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