L’homme en rouge de Julian Barnes

Julian Barnes est un romancier, nouvelliste, essayiste et journaliste britannique (Leicester 1946); il a publié aussi des romans policiers sous le nom de Dan Kavanagh (presque le nom de son épouse décédée). On dit de Julian Barnes qu’il est un francophile érudit et aussi le plus européen des écrivains anglais. Et le seul auteur a cumuler le Médicis et le Fémina étrangers.

L’homme en rouge (The man in the red coat 2019) est déjà le 24è livre de Barnes et le 8è de non fiction! Ce livre a reçu le Prix Jean Bernard de l’Académie Nationale de Médecine en 2021. J’ai adoré cette lecture, roman en partie biographique et autour de la personnalité du Dr Samuel Jean Pozzi, (1846-1918), médecin réputé, aujourd’hui oublié, entouré du Tout Paris des années 1870-1914, période connue comme Les Années Folles. Après tout le temps passé à se documenter sur cette période, l’écrivain Barnes a trouvé les mots exacts pour la définir…la lointaine, décadente, trépidante, violente, narcissique et névrotique Belle Époque.

Si bien le Dr Pozzi est le personnage principal (et solaire) de ce livre, gravitent autour de lui une pléiade de personnages bien connus de tous, que le livre rend « en chair et en os », pleins de vie et de morgue.

Ce bon docteur Pozzi était un personnage complexe.

Il y a le médecin, brillant, intachable, novateur, moderne, un chirurgien qui a fait avancer la pratique de la Médecine en introduisant l’asepsie opératoire (qu’il avait ramené de Londres via son collègue chirurgien Lister), il fît reconnaitre la Gynécologie comme une véritable spécialité, il a divulgué et pratiqué la laparotomie (ouverture de l’abdomen), il a introduit l’utilisation du clamp pour les vaisseaux sanguins, il a écrit un traité de Gynécologie et amélioré le confort de cet examen si pénible pour les femmes. En 1901, à l’âge de 54 ans, Pozzi devient le premier Pr de Gynécologie en France, à l’Hôpital Broca qu’il avait complètement modernisé et fait décorer de fresques.

Sur le plan physique, c’était un homme d’une beauté hors du commun, il est resté beau toute sa vie, largement admiré sinon jalousé.

Au plan personnel, les choses sont moins mirobolantes. Il a raté son mariage avec une riche héritière et il a raté le rapport avec ses enfants. Apparemment sa vie sexuelle fut riche, avec quelques maitresses connues comme Sarah Bernhardt (pour qui il était Docteur Dieu ou L’amour médecin), la veuve de Bizet (Geneviève Halévy), la poétesse Judith Gautier, plusieurs actrices, mais surtout Emma Fischoff, sa compagne pendant des années. (Ce qui est surprenant, vu ce que l’époque avait de frénétique, rancunier et perfide, c’est la relative rareté des ennemis qu’il se fit dans sa vie).

Samuel Jean Pozzi régna littéralement sur la société parisienne, même internationale, car chez cet homme primait la courtoisie, le respect d’autrui et la bonne humeur.

L’idée de ce livre vint à Julian Barnes en contemplant le tableau monumental du Dr Pozzi,( peint par John Singer Sargent en 1881) à la National Portrait Gallery en 2015 (un prêt du Hammer Museum de LA), un portrait monumental qui fut peu apprécié en France et qui montre , entre autres détails, une finesse extrême et une grande expressivité des doigts du chirurgien, alors âgé de 35 ans. Depuis 1990 ce tableau appartient au Hammer Museum de Los Angeles où il occupe tout un mur du troisième étage.

À partir du tableau, Barnes tisse un réseau de connexions avec les relations du Dr Pozzi à La Belle Époque et revient souvent au voyage qu’il a fait à Londres en 1885, à 38 ans, avec le comte de Montesquiou-Fézensac et le prince de Polignac, deux fieffés dandies dans l’esprit du temps. Ils sont allés à Londres à la recherche d’achats décoratifs et intellectuels (?). Ces deux compagnons sont des homosexuels connus, mais Pozzi est hétéro, un « homme à femmes » des plus discrets. À Londres ils seront reçus par Henry James.

Ces trois personnages apparaissent dans À La recherche du temps perdu : Polignac par deux fois et sous son nom, de Montesquiou sous le nom de baron de Charlus et Pozzi comme le Pr Cottard. Montesquiou était si reconnaissable comme baron de Charlus qu’il disait qu’il devrait s’autoappeler Montesproust.

La famille Proust est largement citée puisque le père de Marcel était un réputé médecin qui a travaillé avec Pozzi, et le fils cadet, Robert Proust a fait carrière auprès de Pozzi et devenant « le roi de la « proustatectomie », comme on disait à l’époque.

D’origine bourgeoise, Pozzi aura accès à la fine fleur de l’aristocratie, par mérite propre mais aussi aidé par la fortune de sa femme; ses illustres acolytes ne le renieront jamais. Il mourra assassiné par un patient mécontent, dans son cabinet de consultation.

Les esprits à l’époque étaient si hystériques que le duel était la seule réparation pour des egos enflammés(Georges Clemenceau aurait participé à 22 duels dans sa vie). Cette période fiévreuse a laissé peu de souvenirs, en dehors des affaires en rapport avec M. Proust et O. Wilde et comme Julian Barnes le dit si justement, le temps est l’ennemi des papillons, des dandies et des épigrammes.

Un livre qui se lit d’une traite, comme un patch work qui passe d’un personnage à un autre, il est aussi richement illustré avec des photos (les premières) d’époque!

Julien Barnes dit avoir plongé dans cette tranche d’histoire française comme une réaction à l’insularité des Anglais et leur conséquente sortie de l’UE. Il présente le Dr Pozzi comme un héros, qui était rationnel, scientifique, progressiste, international, s’intéressant constamment à tout; qui accueillait chaque jour avec enthousiasme et curiosité; qui emplissait son existence de médecine, d’art, de livres, de voyages, d’amis et connaissances, de politique et d’autant de sexe que possible. Il n’était pas sans défauts.

Autres livres commentés : Arthur & George . La table citron . Le perroquet de Flaubert .La seule histoire . Quand tout est déjà arrivé .

La partie haute du tableau de JS Sargent

L’HOMME EN ROUGE, Mercure de France 2020 (JB 2019), ISBN 978-2-7152-5402-2

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