Le perroquet de Flaubert de Julian Barnes

Julian Barnes est un romancier, nouvelliste, essayiste et journaliste britannique (Leicester 1946); il a publié aussi des romans policiers sous le nom de Dan Kavanagh. On dit de Julian Barnes qu’il est un francophile érudit et aussi le plus européen des écrivains anglais.

Le perroquet de Flaubert (Flaubert’s Parrot, 1984) a été sélectionné pour le Booker Prize et a obtenu le Médicis Essai 1986, ainsi que le prix EM Foster et le prix Memorial Geoffrey-Faber.

C’est un ouvrage hybride annoncé roman sur la couverture des Éditions Stock alors qu’il a obtenu un prix essai chez Médicis. Le livre porte un regard original et décalé sur la vie et l’oeuvre de Gustave Flaubert; l’écrivain Barnes voulant créer un objet littéraire singulier. C’est réussi, parce qu’il va faire dialoguer le réel et le fictif, le XIXè siècle et le contemporain sur fond d’érudition autour de Flaubert.

Julian Barnes avait l’envie très ancienne d’écrire sur Flaubert et cette envie se concrétisa en 1981 quand il s’est trouvé sous la statue d’un Flaubert pétrifié dans sa pose, place des Carmes à Rouen. Et c’est quelques mois plus tard que Barnes créa le personnage fictif du Dr Braithwaite, un veuf pédant et obsédé par Gustave Flaubert.

Ce roman décline sur un mode humoristique les différentes théories postmodernes et Barnes sème la confusion du lecteur quand il mentionne, dans une édition anglaise du Perroquet de Flaubert, : « les traductions dans ce livre sont de Geoffrey Braithwaite, mais il n’aurait pu accomplir cette tâche sans le modèle impeccable de Francis Steegmuller ( celui-ci le bien réel traducteur à l’anglais des lettres de Flaubert). Voilà le type de confusion ludique/ontologique dont raffole Barnes, qui a opté pour la multiplicité des perspectives et le décloisonnement entre genres fictionnels et non fictionnels (cf le brillant travail de Vanessa Guignery in « Le perroquet de Flaubert de Julian Barnes : genèse d’une passion littéraire« .

Un autre thème postmoderne dans le livre, est la multiplication des points de vue, comme par exemple cette triple chronologie de la vie de Flaubert dans le chapitre 2 (une vraie et deux fausses?). Un autre aspect typique de l’écriture postmoderne est ce jeu avec la méta fiction : le roman mélange la vie réelle de Gustave Flaubert avec une vie imaginaire, celle du narrateur Braithwaite, comme d’ailleurs le propre Flaubert se mêlait à ses personnages et disait sa phrase célèbre « Madame Bovary, c’est moi« . Ainsi, il y a dans ce livre une telle intrication avec les assertions du romancier Barnes, que le lecteur par moments perd pied et prend de la distance vis-à-vis du narrateur Braithwaite.

Julian Barnes, entre autres idées brillantes et loufoques, règle son dû aux critiques littéraires via le personnage de Geoffrey Braithwaite, par exemple en se moquant de la variation de la couleur des yeux d’Emma Bovary, et développe l’idée que la vie de l’écrivain ne devrait influencer en rien l’oeuvre de celui-ci, alors que d’aucuns affirment que les deux options sont indissociables.

Le personnage de Geoffrey Braithwaite va multiplier les perspectives sur Flaubert à un point tel, qu’il se transforme en perroquet de Flaubert, c’est à dire en répétiteur, copieur et imitateur (cf la compilation de citations de Flaubert, transformant le narrateur en copiste-perroquet).

Barnes a une grande admiration pour Gustave Flaubert qu’il nomme « l’écrivain par excellence, le saint et martyr de la littérature » auquel il consacrera quelques 25 essais ou critiques, ainsi que son ouvrage le plus célèbre, celui-ci.

LE ROMAN/ESSAI : Un médecin Anglais, retraité et veuf, dont l’épouse se serait suicidée après une affaire d’adultère (un parfait alter ego du Dr Bovary, celui-là), fait un pèlerinage à travers le Croisset et Rouen, à la recherche d’informations sur la vie de l’écrivain Flaubert et notamment le perroquet Loulou. Assez vite il va constater qu’il y a deux perroquets empaillés qui revendiquent l’appartenance à Léonie (le Loulou de Un coeur simple). Il mènera alors une enquête policière pour savoir lequel des deux perroquets est le vrai, et in fine, il apprendra qu’au Musée du Croisset ils ont possédé jusqu’à 50 perroquets empaillés, presque tous vendus à bon prix aux amateurs de Flaubert !

Une lecture qui décoiffe et qui déstabilise : qui parle par moments, Flaubert, Braithwaite ou Barnes ? C’est assez confus, avec beaucoup d’informations sur le grand écrivain; c’est divertissant à lire au deuxième degré en ayant des notions sur Flaubert, sinon on patauge .

J’ai beaucoup aimé le chapitre sur Louise Colet où elle « prend la parole » pour donner son point de vue en évoquant d’emblée qu’elle a intrigué, qu’elle n’avait pas besoin, dans sa vie, du grand Gustave, qu’elle était belle femme et mariée et poétesse reconnue alors que lui, le premier jour qu’elle l’a croisé, lui a semblé une grande perche de provincial, satisfait de se trouver enfin dans le monde artistique. Gustave avait 24 ans et elle 35. Un air résolument moderne et culotté qui ramène la pauvre Bovary au rang de débutante.

Un prédiction de Flaubert de 1852 dans le chapitre Epreuve écrite (pour l’Agreg?) en Histoire et Astrologie…A mesure que l’humanité se perfectionne, l’homme se dégrade; quand tout ne sera plus qu’une combination économique d’intérêts bien contrebalancés, à quoi servira la vertu? Quand la nature sera tellement esclave qu’elle aura perdu ses formes originelles, où sera la plastique? Etc. En attendant, nous allons passer dans un bon état opaque.

Autres livres commentés : Arthur & George , La table citron .

LE PERROQUET DE FLAUBERT, Stock 1986 (JB 1984), ISBN 2-234-01933-8

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