Le sculpteur de nuages de Jean Anglade

Jean Anglade est un écrivain français (Puy de Dôme 1915-Clermont Ferrand 2017) très prolifique (une centaine de publications !), avec plusieurs casquettes: romancier, biographe, historien, essayiste, humoriste, traducteur de l’italien, poète et scénariste.
On le connait comme « le Pagnol auvergnat » et aussi comme « le patriarche des lettres auvergnates »; c’est une référence littéraire en Auvergne, comme Alexandre Vialatte, Henri Pourrat, Lucien Gachon, Aimé Coulaudon, Marie-Aimée Méraville, Jean-Émile Bénech et Pierre Moussaire.

Sa littérature est une littérature de terroir, avec des romans savoureux et hauts en couleur, faits d’ un mélange d’humour et de bon sens paysan, de malice et de franchise crue; en fait, ses livres sont de véritables documentaires sur l’Auvergne bien que le romancier dise « ma véritable région, ce n’est pas l’Auvergne, c’est l’Homme ».

 Le sculpteur de nuages (2013)  est un roman inspiré de la vie du sculpteur californien Ralph Stackpole(1885-1973). ¿Quel est le rapport d’Anglade avec Stackpole? Stackpole épousa en 1923 aux USA et en deuxième noce une vraie auvergnate, Ginette, originaire de Chauriat (que l’écrivain orthographie Chauriac). Le romancier a changé les noms dans le roman (¿pour quelle raison?), Ralph Stackpole s’appellera Ralph Stalkner et Ginette sera appelée Francine Mazeil. Ginette-Francine émigra aux USA en août 1923, fuyant l’Auvergne après le décès de ses deux parents de la grippe espagnole et la disparition de son frère unique Marcel après la Grande Guerre. Elle avait l’avantage de parler l’anglais et l’espagnol, raison pour laquelle on lui conseilla d’émigrer en Californie.

Le titre du livre vient du fait que lorsque Ralph Stackpole devint trop vieux pour sculpter la pierre, il regardait le ciel et ses nuages moutonneux en disant qu’il les sculptait.

J’ai trouvé que toute la partie du livre dédiée à la biographie du sculpteur manquait de consistance humaine et que tout ce que je lisais me faisait penser aux informations que l’on glane sur wikipédia, sans âme,  sans couleur et sans saveur.

En revanche, le récit devient plus intéressant lorsque Ralph Stackpole s’installe en Auvergne, prétexte pour Jean Anglade pour nous livrer énormément d’informations sur sa région, notamment sur les tailleurs de pierre de Volvic. Il y a quelques anecdotes savoureuses sur l’Auvergne et les auvergnats. Par exemple page 136 nous lisons…pour sa part, l’Auvergnat traditionnel n’est pas un grand consommateur d’eau. Ni à usage interne ni à usage externe. On dit qu’il ne se débarbouille qu’une fois l’an: le matin du 1er janvier. Mais les plus purs représentants de l’espèce ne font toilette que deux fois dans leur vie: la veille de leur mariage et la veille de leur enterrement. Encore ne traitent-ils que le devant puisque le derrière ne se voit pas. Ces purs de purs croient au danger mortel de l’eau de fontaine, du savon et du socialisme; au pouvoir qu’a le tocsin d’éloigner la foudre; aux vertus de l’épargne; à l’influence de la lune sur l’humeur des femmes, la crue du seigle, des feuilles et des cheveux. Avant de passer chez le coiffeur, ils consultent leur calendrier: « J’attendrai la lunaison suivante, la coupe me durera quinze jours de plus ».

Ou cette autre anecdote savoureuse. Le ménage Stalkner eut besoin de faire réparer leur chasse d’eau, ils firent appel au plombier Brasdefer qui s’en tira bien, même s’il fut lent dans sa besogne et dans la rédaction de sa facture: -« N’oubliez pas votre facture ! »- « J’y pense. J’y pense ». Il y pensa deux semaines. Elle finit par arriver. Stalkner la trouva un peu salée, il l’examina de près. Brasdefer connaissait très mal l’orthographe et à peine l’écriture. Ralph et Francine déchiffrèrent avec peine ses rubriques: anlèveman... ansiène plomberie… teraseman… saileman… tube/de/plomb… tube/de/cuifre… tapiot... soudurre… jouints… coudes… reobinets… mindeufre… TVA. Rien n’avait été oublié. Toutefois, un article intriguait : papu, 84.25. Ralph se creusa profondément l’esprit pour essayer de comprendre le sens de ce papu facturé 84 francs et 24 centimes. Afin d’en expliquer la signification, il chercha le mot dans son dictionnaire Larousse. Il y trouva des vocables approchants :papule, purpol, pulpe, pépie, Pabu, Papou, papou…Mais aucun papu. Quand Brasdefer vint se faire payer, il le consulta: -« Votre papu, qu’est-ce que c’est au juste ? » « Mon papu? » « Oui, là…84.25 francs » « Eh bien, c’est ce que j’ai pas pu, voilà tout ». « Vous…avez…pas pu? »-« J’ai pas pu faire ce que je voulais. Mais je l’ai compté quand même, vu le temps que j’y ai passé. C’est juste, non? »-Et qu’est-ce que vous vouliez que vous n’avez pas pu? « -« Aller au plus court…A l’économie…ça m’a pris du temps. Pour que vous soyez satisfait. Mais j’ai pas pu. Alors, si je l’avais pas marqué sur la facture, qui c’est donc qui me l’aurait payé?…Je vous enlève les centimes. Reste 84 ».

Par moments la plume d’Anglade devient poétique et cela donne…c’était la fin de la journée, le moment où les agriculteurs quittent leurs champs, où les chèvres rentrent à la chèvrerie, où les enfants sortent des écoles. Au loin, au-dessus de la mer moirée des cultures limagnaises, toute l’escadre des monts Dôme se tenait alignée, en formation de parade de part et d’autre du puy amiral. Là-dessus, le soleil couchant déversait des flots de sirop, fraise, framboise et groseille confondues.

Sur la ville de Thiers, il écrit…étonnante ville de Thiers. D’où qu’on la regarde, on n’en voit jamais qu’un tiers. Étonnants habitants qui, sans être méridionaux, ont l’accent du Midi. Qui, plutôt portés à la paresse, se tuent au travail. Qui, plutôt pieux de nature, grand brûleurs de buis bénit en cas d’orage, se moqueraient du bon Dieu s’Il venait à passer devant leur porte, tellement ils sont enclins au rire et à la moquerie. Comment distinguer leur folie de leur sagesse?[règlement de compte d’un escoutois?].

Mi-roman biographique, mi-roman de terroir, je préfère de loin le côté anecdotique auvergnat, terrain dans lequel Jean Anglade est imparable.

Autres livres commentés : Le Tour du doigt, Le semeur d’alphabets.

LE SCULPTEUR DE NUAGES, Livre de Poche 33669 (Calmann-Lévy 2013) ISBN 978-2-253-09984-0

Une réflexion sur “Le sculpteur de nuages de Jean Anglade

  1. Je viens de lire sculpteur de nuages, j’ ai connu Ralph Stackpole surtout ma mère qui a aidé un peu leur vie qui était difficile. Il disait surtout qu’il peignait pour le plaisir les yeux, mais la sculpture était première, malgré beaucoup de fatigue. Sa fin de vie était de misère et de grande solitude, ma mère était là presque seule, c’est ainsi la vie.

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