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Love, etc. de Julian Barnes

Julian Barnes est un romancier, nouvelliste, essayiste et journaliste britannique (Leicester 1946); il a publié aussi des romans policiers sous le nom de Dan Kavanagh (presque le nom de son épouse décédée). On dit de Julian Barnes qu’il est un francophile érudit et aussi le plus européen des écrivains anglais. Et le seul auteur a cumuler le Médicis et le Fémina Étrangers.

Love, etc. (Talking it over 1991), est le 6ème roman de l’auteur, un roman intimiste et choral; le titre en français, est la traduction de Talking it over en VO, tome qui aura une suite : Dix ans après (2002) en français et Love, etc. (2000) en VO, où Barnes va reprendre les mêmes personnages 10 ans après (je frémis de ce qu’ils ont pu devenir…). Le livre a reçu le Prix Fémina Étranger 1992 et il est dédié à sa femme Pat, décédée quelques années plus tard.

Un film avec le même titre a été tourné en France par Marion Vernoux en 1996 avec Charlotte Gainsbourg, Yvan Attal et Charles Berling. C’est une libre adaptation du roman à la sauce française.

C’est le septième livre que je lis à cet auteur britannique que je trouve plutôt brillant, car chaque lecture a été un ravissement. Cette fois je suis restée coite, un peu interloquée. Disons que jusqu’à la moitié du livre, j’étais agacée par les personnages, puis, tout d’un coup j’ai saisi l’acuité bouleversante de Barnes devant la situation…Le roman que je prenais pour une bluette m’a paru assez spirituel quoique très dur. Julian Barnes a l’art de transformer un sujet plutôt banal en étude psychologique féroce, intéressante.

C’est l’histoire d’un triangle amoureux entre deux camarades depuis l’école et l’épouse de l’un d’entre eux. Je vais essayer de les caractériser pour donner du contexte à cette histoire peu courante.

STUART est un garçon introverti, sérieux, ordonné, bûcheur, ayant un rapport sain avec l’argent, il travaillera dans une banque où ses mérites feront qu’il aura des avancements et une bonne situation économique. Physiquement il est plutôt replet.

OLIVER est le contraire de Stuart, extraverti, beau garçon, pédant, érudit, snobinard, s’écoutant parler, frimeur, inconstant puisque à l’âge adulte il se fera éjecter successivement de ses jobs. Il tire le diable par la queue tout le temps et emprunte de l’argent au brave Stuart. Un point positif, il protégeait Stuart à l’école car son caractère introverti le rendait la cible des voyous de la classe. À se demander si ce gars ne cache pas une trop grande sensibilité en créant le personnage, car il peut être aperçu par les autres comme très séducteur; il s’auto définit comme humaniste, esthète et un romantique. C’est un manipulateur-né.

GILLIAN est la femme pour laquelle soupirent les deux amis. Elle est restauratrice de tableaux et n’a pas dans ce roman une personnalité bien marquée, ni physique ni morale. C’est une femme pratique à tout point de vue, efficace. Elle a comme originalité d’avoir une mère française ce qui la nimbe d’une auréole un peu exotique, voire permissive. Elle passera par les petites annonces pour trouver l’homme de sa vie, le brave Stuart, qui, pour le coup, se trouve dans la même situation.

L’histoire démarre quand le jour du (discret) mariage de Gillian et Stuart, Oliver décide qu’il est tombé amoureux de l’épouse et décide de la séduire. Le mariage de Gillian et Stuart est un mariage « de raison » en dehors des affres de la passion.

L’histoire finit avec une scène de ménage d’anthologie où il règne de la haute manipulation. Je suis restée perplexe devant ce final. Il m’a semblé que l’histoire restait inachevée, non aboutie.
Je ne vais pas divulgâcher cette histoire dans le détail, car cela vaut la peine de la lire pour le croire, mais surtout pour ce faire sa propre idée.

La construction du livre est intéressante, encore un livre en trois parties, chiffre fétiche de l’auteur. C’est un livre avec trois narrateurs (cf plus haut) et à la première personne, trois voix narratives qui s’adressent directement au lecteur, trois avis différents sur la même situation.

Je dois dire que j’ai trouvé les trois personnages détestables. Chacun a ses défauts et défend sa cause, cela est clair. Mais il y a autre chose. Pour quoi Stuart pousse presque son meilleur ami à s’approcher de Gillian jeune mariée? Ne s’agit-il pas d’une façon d’approcher Oliver, lequel Oliver en séduisant Gillian s’approche de Stuart? Bref, une situation bonne pour la psychanalyse. Et puis le premier dévasté est Oliver avec son obsession de posséder Gillian. Le deuxième dévasté est Stuart. Et Gillian, cette femme 100% pratique, que fait-elle avec une personnalité comme celle d’Oliver?

Ce livre exige au lecteur une interprétation. Et cette histoire fait peur car elle est inquiétante car crédible. Il y a de la cruauté dans ce livre. Pour sauver le tout il y a l’humour de Julian Barnes, cette fois acéré, décapant, mais toujours fin.

Il va falloir lire la suite, Dix ans après, mais je suis craintive déjà.

Autres livres commentés : Arthur & George . La table citron . Le perroquet de Flaubert . La seule histoire . Quand tout est déjà arrivé . L’homme en rouge .

Affiche du film de Marion Vernoux 1996

LOVE, ETC, Éditions Denoël 1992 (JB 1991), ISBN 2-207-23992-6