La vie me fait peur de Jean-Paul Dubois

LU cie & co: Pour Jean-Paul Dubois, tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon

Jean-Paul Dubois est un écrivain français (Toulouse 1950) ayant fait des études de Sociologie; il a travaillé aussi comme journaliste et grand reporter. Sa bibliographie est assez vaste: quelques 23 romans !

Son oeuvre pose un regard désabusé et distancé sur le monde et les rapports humains; ses héros ont souvent une vie névrosée, souvent ses personnages sont originaires de Toulouse comme lui même (tout en étant attiré par l’Amérique du Nord). Il y a des choses récurrentes dans les romans de Dubois : le prénom Paul pour le héros,  ou d’Anna pour l’épouse; le rugby, mais aussi  des accidents et des morts brutales. La voiture peut être aussi un sujet important dans certains de ses livres.

On dit que cet écrivain est vraiment lui même quand il est drôle dans la tragédie et lorsqu’il rend cocasses des situations tristes.

Depuis que je l’ai découvert avec son livre Une vie française, j’ai souhaité lire tous ses livres (sur 23 ouvrages, je n’en suis qu’à la moitié…): Une vie française (2004) un livre qui m’a plu énormément: la vie en parallèle de Paul Blick et de l’Histoire de la France entre 1950 et 2004, le rythme du livre est soutenu, dévorant, avec une tension psychologique hors pair et une fin bouleversante; ce livre a été primé en 2004 par le Prix Femina et le Prix FNAC.

La vie me fait peur (1994) m’a bien plu car il comporte plusieurs ingrédients de la « cuisine littéraire » de l’auteur : le prénom Paul pour le personnage principal, Toulouse en toile de fond ainsi que l’Amérique du Nord, des informations bien fournies sur les voitures, de l’humour, de la réflexion, quelques morts violentes, les tondeuses à gazon, une histoire qui se tient bien et le tout baignant dans une bonne dose de cynisme.

Oui, la vie fait peur à Paul Siegelman, un dilettante dans toute sa splendeur, d’un nonchaloir biblique selon Dubois. Il ne finit pas ses études et part rouler sa bosse sept années aux EEUU où il va pratiquer divers jobs pour survivre. Puis il rentrera en France où son père, un farfelu patenté, gère une affaire de tondeuses à gazon et attend le fiston pour qu’il prenne les affaires en main. Le problème est que Paul ne veut pas, il s’en sait incapable. Comme le hasard fait bien les choses, il va croiser une jeune femme qui est son antithèse et il va l’épouser. Cette jeune femme est américaine, fille de chirurgiens, riche et brillante. C’est elle qui va prendre l’affaire du beau-père à la façon énergique des businessmen d’Amérique du Nord pendant que Paul reste le parfait glandu et que à 44 ans la vie lui fait peur, bien sûr, puisqu’il a tout raté avec son parcours stochastique (synonyme d’aléatoire, chic un nouveau mot).

Ceci est en gros la trame de ce roman mais en fait, il apporte beaucoup plus que l’histoire autour du mollasson Paul Siegelman. Les rapports entre les gens sont très bien vus, ainsi que le milieu d’affaires ici ou en Amérique. Il y a une foultitude d’anecdotes et de réflexions qui font de cette lecture quelque chose d’intéressant et par moments, très drôle : un régal dans la plus pure veine duboisienne. Et quelles descriptions drôles il nous sert, par exemple celle de l’ami Gaetan Di Falco …sa crinière vaincue par une calvitie foudroyante, laissait maintenant apparaître un crâne bosselé entouré d’une fine bande de cheveux taillés court, et entretenus comme une bordure de jardin. Sa stature, elle aussi, s’était modifiée. Gaetan n’avait plus aucune allure, on l’aurait dit tassé, envasé dans l’embonpoint. Quant à son visage, il était gras, rosacé comme un mauvais pâté…et  au sujet de son épouse Sophia: c‘était une femme séduisante, mince et d’apparence si fraîche qu’elle semblait sortir d’un réfrigérateur. Sa peau aussi fine qu’une pellicule de yoghourt, avait quelque chose de lacté. Ses jambes sèches et nerveuses lui donnaient une démarche juvénile.

Aussi, l’auteur Dubois nous sert des phrases de désenchantement sur l’amour émanant de son profond spleen. J’en ai noté quelques unes…toute femme a, au moins une fois durant sa vie, souhaité la mort de son mari, préférant la franche solitude du veuvage à l’indifférence mutilante du conjoint. Oui, fatalement, tout homme a partagé ces mêmes pensées. Et peut-être les deux au même moment. Parce qu’au fond, le deuil est la seule séparation qui soit propre, nette, qui tranche le différend de manière neutre, indiscutable. L’un disparaît, le survivant peut allonger ses jambes…A quoi bon défaire un vieux couple pour reformer aussitôt un couple de vieux ?…parce que je ne crois pas plus en l’amour qu’aux prévisions météorologiques à dix jours. J’ai foi en un certain nombre de choses, comme la patience, le respect, le silence et même le mensonge. Mais je me défie de l’amour, ce sentiment hallucinogène éphémère qui paralyse l’esprit, et vous laisse ensuite pour mort, dans la posture de l’électrocuté…

Un bon cru débordant de cynisme.

Autres livres de l’auteur : Vous plaisantez, Monsieur Tanner, Le cas Sneijder, Tous les matins je me lève, Kennedy et moi, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, Les accommodements raisonnables, Si ce livre pouvait me rapprocher de toi, Vous aurez de mes nouvelles, Maria est morte, La succession, Hommes entre eux, Je pense à autre chose. Une année sous silence .

LA VIE ME FAIT PEUR, Éditions du Seuil 1994,  ISBN 2-02-022584-0

Laisser un commentaire