L’amie prodigieuse (Tome 1) d’Elena Ferrante

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Elena Ferrante est le pseudonyme d’un écrivain italien qui cultive l’énigme depuis 25 ans (pas de photo disponible donc; c’est la deuxième fois que cela m’arrive dans ce blog). On pense seulement qu’Elena Ferrante est originaire de Naples et qu’elle (ou il?) serait née vers 1940. Le journaliste italien Claudio Gatti soulève l’hypothèse qu’il pourrait s’agir de la traductrice romaine Anita Raja de 63 ans, hypothèse basée sur l’explosion des revenus de Mme Raja ainsi que ceux de la maison d’édition E/O qui publie Mme Ferrante.

Le nom d’Elena Ferrante serait inspiré d’Elsa Morante, l’écrivaine préférée d’Elena Ferrante (le jeu des boîtes chinoises en plus…). Il faut signaler que cet auteur mystérieux est plébiscité dans le monde entier avec 2,5 millions d’exemplaires vendus et des traductions dans 42 pays… L’auteur reconnaît dans des interviews données par écrit la part importante de l’autobiographique dans son oeuvre. Derrière ses livres on sent une grande sincérité, un ton viscéral, un regard sur la condition des femmes et une approche très psychologique des personnages et des situations.

Sa tétralogie napolitaine, dont ce roman est le premier volet,  connaît un succès mondial; seuls les deux premiers tomes sont disponibles pour le moment en français (L’amie prodigieuse depuis 2014 et Le nouveau nom depuis 2016); il s’agit d’une saga d’environ 1700 pages autour d’une amitié forte entre deux filles d’origine modeste dans le Naples de 1958.

L’amie prodigieuse (L’amica geniale, 2011) a été traduit en français en 2014 et ce fût d’emblée un très grand succès de librairie mais aussi du bouche à oreille. L’écrivain Daniel Pennac aurait offert ce livre à beaucoup de ses amis, dit le bandeau qui entoure mon exemplaire de Poche (c’est un peu racoleur…mais quel parrainage!) : cela montre que non seulement Monsieur Pennac  est un bon écrivain mais qu’aussi il a du goût et qu’il est bon lecteur. Car ce roman est de lecture addictive, envoûtante, intéressante, et l’émotion qui en découle fait battre plus fort le cœur et circuler plus vite le sang. C’est un roman hyperréaliste qui fait penser au cinéma italien de la grande époque.

Dès le titre, le décor est bien planté : enfance et adolescence (entre 6 et 16 ans) de nos deux héroïnes au caractère bien trempé, mais si différentes : Lila Cerullo la noiraude surdouée, vive et acérée et Elena la blonde bûcheuse et assidue dans ses études, prête à suivre Lila dans des aventures qui peuvent être téméraires. Elles sont amies et éternelles rivales et c’est leur rivalité qui galvanise littéralement le lecteur. Elles s’opposent mais en même temps se façonnent en se regardant en face pendant 10 années (…elle avait ce qui me manquait et vice versa, dans un perpétuel jeu d’échanges et de renversements qui, parfois dans la joie, parfois dans la souffrance, nous rendait indispensables l’une à l’autre…). Nous assisterons à l’éclosion des deux jeunes filles après la puberté, l’âge de tous les changements.

Le roman démarre avec la volatilisation de Lila Cerullo, à l’âge de 66 ans, et depuis 15 jours, ayant pris grand soin d’emporter avec elle toute image personnelle. C’est son fils Rino (qui se prénomme comme son oncle, le frère de Lila) qui prévient son amie de toute la vie, Elena Greco de cette disparition. Alors Elena décide d’écrire sur son ordinateur leur histoire commune dans le Naples de la fin des années 50, dans un quartier populaire au sein d’une ville pauvre, écrasée par le soleil et déjà tenue par la Camorra.

La première chose qui lui vient à l’esprit, en pensant à Lila, c’est qu’elle était méchante… A partir de là, Elena va nous développer cette notion et nous donner toutes sortes d’informations sur ce qui fût leur enfance et adolescence entre 6 et 16 ans, les relations entre elles, avec leurs familles et leurs voisins.

C’est un univers haut en couleur que ces napolitains qui essaient de survivre dans un monde qui évolue vite; ils essaient de préserver leur code d’honneur, de conserver le poids de la famille, mais ils restent englués dans leur médiocrité, incapables de se projeter dans un monde nouveau. Ils sont globalement contre l’éducation de leurs enfants. Voilà, le mot est lâché, l’éducation est la pierre angulaire de ce premier tome dans un environnement amoureux, social et politique.

Car l’amitié entre ces deux fillettes sera cimentée par l’éducation pour Elena et la connaissance pour Lila. La famille de Lila Cerullo est la famille du cordonnier du quartier; il s’en sort mal mais entraîne néanmoins son fils Rino dans le métier. Lila Cerullo est intelligente, brillante même, mais elle ne s’opposera pas au dessein de ses parents qui la destinent au mariage, surtout s’il est profitable. La famille d’Elena Greco est celle d’un petit fonctionnaire, portier de mairie et Elena sera remarquée très tôt par ses professeurs: grâce à leur soutien sans faille, elle pourra continuer ses études de façon chaque année plus brillante.

Ces deux amies veulent échapper à leur milieu social et ne pas vivre la vie de leurs mères. Les mères sont dépeintes sans aucune complaisance, en appuyant bien sur leurs disgrâces physiques, leur soumission à l’autorité patriarcale et leurs tâches domestiques ingrates. Lila et Elena ne savent pas s’il faut partir ou rester dans le quartier, ce quartier qui constitue le centre du monde pour elles. Un quartier violent avec ses mafiosi, ses communistes, ses artisans, ses commerçants, ses traditions; un véritable ghetto où les enfants ne franchissent jamais les frontières et où les gens parlent en dialecte et méprisent la langue de Pétrarque.

Cette éducation va, in fine,  séparer les amies car elle apportera à Elena des arguments et du recul pour juger d’abord son amie d’enfance, mais aussi son entourage, c’est à dire sa propre famille et ses amis. Elle s’apercevra du clivage qui va s’installer entre elle et les autres.

Dans ce premier tome, nous avons un récit plein de fureur et de violence, nous assisterons au passage de l’enfance à l’adolescence de tout le groupe de jeunes autour des deux amies. Les personnages ont une réelle profondeur humaine et psychologique. On assistera à l’évolution physique et morale des deux amies; car cette amitié très forte n’est pas dénuée d’un côté obscur fait de rivalité, de jalousie latente, de mensonges, d’ambiguïté dans leur relation qui connait des hauts et des bas comme dans la vraie vie. C’est une amitié qui perdure dans le temps et naturellement comporte des ruptures, des éloignements, des silences et des affrontements.

Belle lecture, belle fresque napolitaine avec surabondance de personnages et profusion de noms mais que l’on arrive à situer grâce à la répétition. Personnages qui s’incrustent dans le cerveau du lecteur, lequel voudrait savoir davantage sur eux. Vraie densité des rapports humains, ce qui émeut parce tout sonne juste. C’est un roman de formation qui allie le souffle romanesque à l’analyse psychologique.

Et je me pose la question : laquelle des deux EST l’amie prodigieuse ? Lila ou Elena ?

Autres livres commentés : Les jours de mon abandon, Le nouveau nom, Celle qui fuit et celle qui reste, L’enfant perdue, Frantumaglia.

L’AMIE PRODIGIEUSE, Folio 6052 (Gallimard 2014),  ISBN 978-2-07-046612-2

Une réflexion sur “L’amie prodigieuse (Tome 1) d’Elena Ferrante

  1. Lu en version espagnole, le livre s’intitule « La amiga estupenda ». Curieux comme les traductions peuvent modifier les titres.
    J’ai bien apprécié et pu transporter ce quartier napolitain à certains « barrios » de mon pays à la même époque. Il faut se souvenir que chez moi l’immigration italienne a été massive et surtout la napolitaine, qui arrivait à flots, pour échapper à la pauvreté.
    La lecture est facile grâce à une écriture fluide qui décrit bien la réalité et dépeint des personnages au tempérament « caldo » et impulsif, correspondant si bien à la société napolitaine.
    J’espère pouvoir lire la tétralogie pour connaître la suite de l’histoire.
    Et pour moi l’amie prodigieuse est Lila, sans aucun doute.

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