La mort de Venise de Maurice Barrès

MRésultat de recherche d'images pour "maurice barres"aurice Barrès fut un écrivain et homme politique français (Vosges 1862-Neuilly sur Seine 1923),  une figure de proue du nationalisme; il reste l’un des maitres à penser de la droite nationaliste durant l’entre-deux-guerres. Après des études de droit à Paris, il connaît un succès précoce avec le premier tome de sa trilogie « Le culte du Moi ». Le premier axe de la pensée de Barrès est le « culte du Moi ». Il fut élu en 1906 à l’Académie Française où il succéda à Jose Maria de Heredia. Il a laissé plusieurs essais.

 La mort de Venise ce sont des notes de ses très nombreux voyages à la Sérénissime qu’il visita la première fois avant ses trente ans. Venise devint pour lui une ville d’élection, surtout en automne et il en fut subjugué, ensorcelé et fiévreux. Dans sa préface il écrit : Au printemps, ces arbres me tendent leurs branches fleuries avec l’innocence infiniment civilisée des Luini, et, quand l’automne les charge de fruits, tout ce Veneto agricole se fait sociable et voluptueux comme un Concert du Giorgione. Je ne puis décider dans lequel de ses styles cette nature multiforme m’enchante davantage. Mais, au terme du voyage, on trouve une ville toujours pareille sur une eau prisonnière. Étincelante fête figée de Saint-Marc et du Grand Canal ! Venise a des caprices, mais n’a point de saisons, elle connaît seulement ce que lui en racontent les nuages quand ils montent sur le ciel pour épouser sa lagune. 

La mort de Venise est un court recueil de moins de cent pages et la partie principale  de l’essai Amori et Dolori sacrum datant de 1903. Le titre Amori et dolori sacrum fut pris par Barrès  sur la façade de l’église Santa Maria della Passione à Milan.

La mort de Venise nous offre une vision pessimiste de cette ville, la prose est de qualité et possède de l’éclat mais elle reste assez hermétique; le texte est dense ; cette prose n’exalte aucun esthétisme de la ville ducale. Il faut dire que lorsque Maurice Barrès séjourna, la cité ducale était pauvre et impaludée, vouée à la mort, décrépite et assez peu visitée par les touristes qui étaient surtout allemands. Le livre se présente comme une invitation à la rêverie annonciatrice d’une rupture : l’écrivain va se détourner par la suite de Venise pour s’enraciner dans son terroir natal , la Lorraine. Il annonce ainsi qu’il abandonne cette forme d’écriture pour se consacrer au roman nationaliste. Page 38 : Ces allées secondaires, étroites, obscures, mystérieuses, serpentantes, sont les réserves où Venise, sous l’action du soleil, de la pluie, du vent et de l’âge, continue ses combinaisons. Acceptons qu’elle nous montre des états éloignés de ses magnifiques floraisons historiques dont nous avons, comme elle, perdu l’âme. Le soleil aussi passera de la phase éclatante, de la phase jaune, à cette phase rouge que les astronomes appellent de décrépitude. Le centre secret des plaisirs, tous mêlés de romanesque, que nous trouvons sur les lagunes, c’est que tant de beautés qui s’en vont à la mort nous excitent à jouir de la vie.

Pierre Assouline le dépeint admirablement dans une chronique de son blog (La République des Livres) : Maurice Barrès ne se débarrassera jamais du lumineux fardeau constitué par un glorieux grand- père, le spleen mosellan, le souvenir d’une enfance provinciale entre colline de Sion et cimetière de Vaudémont. Il n’eut de cesse de consulter ses morts et de se livrer à un entretien infini avec eux. (Tout est dit ici).

Maurice Barrès nous sert l’image d’une Venise destructrice terrassant des hommes pour faire jaillir l’oeuvre : par exemple Musset malade de malaria soigné par George Sand, ou du peintre Léopold Robert se suicidant à Venise  devant son plus beau tableau, ou Richard Wagner mort dans un sous-sol d’un palace décrépit…De plus en plus, si je suis seul, je ne sais plus me soustraire au roman vaporeux de la mort. Durant des jours et des semaines, un philtre d’insensibilité m’isole de la vie. Durci par l’indifférence, je me sens tout glacé de morne, cependant qu’au secret de mon âme tournoient dix souvenirs les plus aigus, les dominantes de mon mécontentement. De la profondeur sous une surface calme. Brillante lagune qui reflétez deux rives de palais, sous ce miroir mensonger que faites-vous de la Venise écroulée? Je m’abandonne avec jouissance à la plus stérile mélancolie, en éprouvant tout ce que ma situation offre de poignant ou d’amer. Rêveries douloureuses, mais inépuisables, enivrantes. Cilices sous les brocarts; mais quelles étoffes d’or et d’argent, quelle musique, quelles combinaisons harmonieuses !

Page 31 nous lisons : A côté de cette voie pompeuse où l’on parvient à maintenir, tant bien que mal, quelques beaux instants de l’apogée vénitienne, tous les petits sentiers de pierre ou d’eau, rio, fondamenta, salizzada, calle, continuent lentement leur régression. Ce réseau solitaire nous invite au plaisir délicat du repliement. J’y désirai revoir, entre mille perles malades, l’humble et délaissée Sainte-Alvise.

Et à propos du silence délicieux de Venise : Le mouvement des ondes sonores va sur Venise, comme l’ondulation perpétuelle de l’eau, sans heurts et sans fatigue. Les sons jamais ne nous y donnent de chocs; on les goûte, on connaît leurs qualités, leurs sens. Tandis que l’eau se déplace avec un frais murmure sous le poids de mon gondolier, j’entends au loin s’approcher, s’effacer les pas d’un promeneur invisible, dont je distingue la jeunesse légère ou l’âge alourdi.

Maurice Barrès écrivit dans le préambule du Culte du Moi de 1892 « c’est à Venise que j’ai décidé toute ma vie« , ce qui est une phrase très paradoxale pour le grand nationaliste qu’il fut. Un livre qui laisse le lecteur un peu surpris par l’absence de lyrisme esthétisant, la prose est de belle qualité, mais cérébrale et assez sèche.

LA MORT DE VENISE, Christian Pirot 1990,  ISBN 2-86808-045-6

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