Catherine de Médicis de Jean Orieux

Jean OrieuxJean Orieux (Lot-et-Garonne 1907-Essonne 1990) est un poète, enseignant, romancier et biographe français. Entre 1944 et 1986 il a publié pas moins de 23 livres (romans, nouvelles, biographies et souvenirs). En 1944 on lui a décerné le Grand Prix du roman de l’Académie Française pour Fontagre.

C’est à partir de 1950 qu’il a commencé à s’intéresser au genre biographique ce qui lui valut une deuxième notoriété et une très large audience. J’ai lu sa biographie sur Talleyrand de 1970 (Prix des Ambassadeurs) qui m’avait littéralement éblouie.

Catherine de Médicis ou la Reine noire date de 1986 et ce sera son dernier livre:  une biographie monumentale de 800 pages qui a nécessité 6 années de recherches à partir de 1979, avec 2 réécritures du manuscrit . Jean Orieux  a dit qu’il a falli abandonner l’écriture car le personnage de Catherine de Médicis lui a fait peur à un moment donné :  » j’ai vécu 6 ans avec Catherine de Médicis, je l’ai tuée mais elle m’a tué aussi « .

Le livre a été adapté en téléfilm en 2 parties par Paul Savatier en 1989,  réalisé par Yves-André Hubert avec Alice Sapritch dans le rôle-titre, ce téléfilm a été diffusé sur Antenne 2.

Ce livre est un énorme pavé, il fourmille littéralement de détails historiques couvrant essentiellement le XVIème siècle français. Il a été critiqué comme étant plus un roman qu’un livre historique, néanmoins il est riche en détails sur l’histoire de France  et sur cette dynastie des Valois. J’avoue que vers la fin, cet énorme pavé me tombait des mains, il y a trop de redites, trop de détails, trop d’intrigues.

En lisant l’histoire de France par le bout de la lorgnette , je suis abasourdie par la complexité, la brutalité de certaines situations. Je m’aperçois que l’Europe existait bien avant la création de la CE avec des gens qui se déplaçaient sans cesse, ne serait- ce que en raison des guerres incessantes. La « politiquerie » actuelle, celle de tous les jours en 2014, au ras des pâquerettes, digne d’un vaudeville pas toujours du meilleur goût, n’a rien à envier au temps de jadis…

Sacrée bonne femme que cette Médicis, élevée sous l’égide de la doctrine de Machiavel et qui fut dressée dès sa tendre enfance à l’exercice du pouvoir. Elle fut comblée avec l’alliance matrimoniale avec Henri II à qui elle rendit un amour fidèle et sans rancune, malgré la préférence du roi pour sa favorite, la très belle Diane de Poitiers. Elle sut gérer sa position d’épouse royale de façon intelligente,  sans jamais perdre de vue sa position de reine et  de mère des enfants royaux.

Il existe beaucoup d’a priori sur Catherine de Médicis, mais après la lecture de cet ouvrage, je pense que le personnage reste encore au delà d’une complexité inouïe. Déjà, son CV en imposait: reine de France pendant 30 ans et mère de deux rois ( Charles IX et Henri III) et d’une reine, Marguerite de Navarre, belle-mère du roi Henri IV et mère de Monsieur, le duc d’Alençon, successeur en titre d’Henri III.

En tout cas,  Catherine de Médicis est née à Florence en 1519,  arrière petite fille du grand Laurent le Magnifique , fille de Laurent de Médicis  et de Madeleine de La Tour d’Auvergne, princesse française dont la mère descendait de Saint Louis. Les parents de Catherine moururent alors qu’elle avait moins de 1 an. A partir de ce moment elle fut le dernier atout de cette prodigieuse famille et tous les Médicis survivants s’employèrent, pape en tête, à la monnayer, car pour cette race de banquiers mâtinés de Machiavel, cet enfant était de l’argent.

Lorsque Catherine débarqua en France, c’était le règne de François I et la Renaissance, mais Florence avait presque deux siècles d’avance sur les Gaulois. François I était fasciné par l’Italie. C’est la beauté des arts qui servit d’appât et la liberté des consciences pour juger, la raison raisonnante, la libre expression de toute pensée, sans respect pour les dogmes religieux, pour les systèmes philosophiques, pour les principes et les traditions sur lesquels reposaient les institutions jusqu’alors indiscutées. Cette grande flambée d’intelligence prit le nom d’humanisme et jeta tous ses feux avec la jeunesse du roi. Autour de François I, se crée un nouveau type de seigneur, un Français en mutation, un Gaulois italianisé, le courtisan (il cortegiano). L’homme de cour y trouve son nom et son code de vie: il faut plaire et d’abord à son roi. François I et ses seigneurs, éperdus d’italianisme, se sont mis à cette école. On raffine sur tout: sur les manières, sur les vêtements, le langage, les armes, l’amour, la poésie, la musique, l’architecture, l’ameublement et même la cuisine avec l’usage de la fourchette à table, la dégustation de la frangipane. Tout ceci coexiste  avec ce que les moeurs féodales ont de plus barbare: éclats de violence sanguinaire, ruses de bandits et cruautés atroces.

Catherine fut très heureuse par son mariage avec Henri II, même si elle mit longtemps à lui donner des héritiers, mais lorsque elle conçut, les grossesses se succédèrent. Quand Henri II mourut après un accident de tournoi, elle fut une veuve inconsolable et se voua corps et âme à ses enfants royaux. Elle avait une haute conscience de l’héritage de la dynastie des Valois. Elle prit un deuil éternel et ne porta plus des vêtements en soie. C’est sous ce funèbre aspect que les peintres l’ont représentée: »la reine noire« , ce qui n’a pas peu contribué à noircir sa réputation.

L’idée du mariage de Catherine avec un prince français vint à François I car au XVI siècle un bon mariage vaut une alliance; ainsi il maria son fils Henri d’Orléans à cette florentine fille de marchands et de banquiers étrangers. C’était en 1530 une idée folle. Mais  Catherine n’était pas de basse naissance car sa mère, Madeleine de La Tour d’Auvergne était cousine de Diane de Poitiers, laquelle va plaider pour ce mariage qui indisposait toute la cour de France. Catherine  s’entendra à merveille avec son beau père François I, l’accompagnant à la chasse à courre où elle faisait sensation en montant en amazone; à cette époque elle était la grâce même, l’intelligence pétillante dans ses propos. Elle savait convaincre et enjôler, mais aussi elle possédait une rare puissance de dissimulation, et un réel talent pour le mensonge, la seule arme efficace, à condition de savoir s’en servir. et elle savait s’en servir. Pour être efficace, le mensonge doit être l’outil d’une intelligence profonde, large, ouverte à tout. Catherine avait une intelligence feutrée, comprenant tout et assimilant les arguments de l’adversaire pour les lui resservir parfaitement falsifiés mais délectables. Nourrie aux lettres et à l’histoire anciennes, aucun des avatars du pouvoir, soit de la République, soit des Césars, ne lui était étranger. Elle avait dans le sang l’histoire des Médicis et de Florence, celle de la papauté. C’était là une mine de stratagèmes inépuisable. Elle avait la voix douce, enveloppante, modeste et même humble si besoin était. Un mensonge ainsi modulé et insinué avait quelque chose d’indéfinissable, de profond, de séduisant et même de flatteur pour son auditeur-ou sa victime-au choix. Mais il s’use à la longue. Elle put persévérer dans ses exercices d’équilibriste avec tant de maîtrise qu’elle réussit souvent à berner ou à amadouer ses ennemis les plus méfiants et même ses alliés. Tous étaient sur ses gardes car ella avait sur les uns et les autres une avance d’au moins 10 siècles d’expérience latine dans l’art de désarmer ses ennemis avant de recourir à la violence qu’elle avait en horreur. Catherine jugeait  qu’il est meilleur de ne pas se servir de ses armes tant que la négociation est encore possible; la négociation c’est sa spécialité.

Cette étrangère reprenait le vieux principe capétien sur lequel s’était édifié la France: le roi doit vivre au contact de ses sujets et ses sujets doivent avoir accès à la personne même du roi. Le lien monarchique capétien était un lien personnel. Son cher beau- père, à qui elle devait tant, lui avait laissé une bonne recette politique: « Deux choses sont nécessaires pour vivre en paix avec les Français et leur faire aimer leur roi: les divertir et les occuper avec les exercices du corps« . (C’est ne pas autre chose que « pain et cirque  » des romains au temps de César, ndlR).

La première contribution de Catherine à la civilisation de la France fut de monter en amazone lors des chasses à courre. Ceci fut possible grâce à l’introduction de la culotte car jusqu’alors ce vêtement féminin était inconnu, les dames ne portaient rien sous leurs jupons. L’engouement pour cette mode fut foudroyant: toutes les dames l’adoptèrent et, ce faisant, elles purent lever la jambe par-dessus l’arçon. Catherine chevauchait à plaisir et continua jusqu’à 60 ans passés, malgré son embonpoint; elle tirait remarquablement aussi, soit à l’arme à feu, soit à l’arbalète dont l’une est visible aujourd’hui au Musée de l’Armée aux Invalides, elle est en ébène damasquinée d’or.

Catherine de Médicis avait une personnalité réfléchie: elle préférait de loin la négociation à la force, c’était une experte démagogue, sachant flatter le populo minuto mais elle pouvait ne pas tenir parole, ce qui ne la gênait aucunement. Elle était rusée, parlait doucement avec son accent rocailleux,  elle avait la larme facile, elle était une comedienne dell ‘arte consommée ainsi que tous ses enfants . Sa nature balançait entre le « je donne » et le « je reprends », la cajolerie et la menace. Elle s’adonnait avec naturel à cette diplomatie tortueuse qui lui a valu sa réputation de perfidie; pour elle, gouverner c’était ce jeu de bascule entre les partis contraires: apaiser l’un, puis apaiser l’autre en l’excitant contre le premier ( diviser pour mieux régner de Machiavel…). Un autre de ses sports d’élection était la goinfrerie, elle pouvait ingurgiter des quantités incroyables  de nourritures les plus riches, les plus cuisinées; une fois elle faillit crever d’indigestion pour avoir mangé des platées « de culs d’artichauts et de crêtes et des rognons de coqs ». Un autre trait de son caractère qui a frappé tous ceux qui l’ont approchée était sa curiosité d’esprit pour toutes choses. Toutes les nouveautés de son temps l’attiraient. Ainsi elle s’initia au tabac en le faisant piler et prisa cette poudre de tabac souveraine contre les maux de tête.

Elle adorait les fêtes et les réunions familiales, voulant toujours la réconciliation de ses enfants qui s’haïssaient tellement, qu’ils se seraient étripés avec furie  si elle n’avait pas été là pour les calmer et les obliger à des simagrées d’embrassades. Cette criminelle rivalité faisait de chacun des frères Valois un Caïn en puissance.

Tous ses enfants Valois étaient maladifs, voire tarés. Elle fut totalement aveuglée par son amour maternel et ne vit jamais la réalité de la dégénérescence de ses enfants. Ceci est étonnant de la part de cette femme par ailleurs, incroyablement intelligente. Mais le fanatisme chez elle n’était pas religieux: il était maternel et dynastique. Car,  quand on voit agir les enfants de Catherine, on croit vraiment retrouver les Atrides. Après le règne du pitoyable Charles IX, vint le règne du non moins pitoyable Henri III qui se comporta comme un satrape tyrannique, capricieux, imprévisible, excessif,  affecté naturellement, donnant l’impression d’un roi bouffe, traité d’androgyne par les ambassadeurs étrangers « allant non seulement de Paris à Cracovie ( il fut brièvement roi de Pologne) mais de Sodome à Gomorrhe ».

Une haine farouche séparait le roi Henri III de son frère d’Alençon, le dernier rejeton de Catherine, le nabot fourbe et malfaisant. La passion maternelle de Catherine lui fit commettre une grave erreur. On s’étonne que cette femme supérieurement perspicace, même « diaboliquement » perspicace, qui s’était fait une réputation de « voyance » auprès de certains, ait été devant ses enfants aussi bornée qu’une mère poule. Elle s’était mis dans l’idée que, loin de se haïr, ses deux fils s’aimaient au fond comme de bons frères doivent s’aimer, unis dans l’amour d’une excellente mère; elle se persuadait qu’ils s’opposaient parce qu’ils ne se connaissaient pas assez. Elle était dans l’erreur complète. C’est justement parce qu’ils se connaissaient trop qu’ils s’appréciaient à leur juste valeur et qu’ils se jalousaient à mort, chacun jugeant que l’autre était de trop en France.

Dans cette famille dont la devise pourrait être commediante, tragediante, on est en droit de s’attendre à toutes les fourberies de la part du plus vil de ses représentants, Alençon, dit Monsieur. Jean Orieux a écrit: avec Catherine, nous nous sommes souvent crus à Florence, avec le nabot nous sommes dans un égout napolitain.

Lorsque son fils Charles IX était au trône, il est tombé totalement sous l’emprise de l’amiral  Coligny, un fanatique huguenot qui l’incitait à déclarer la guerre à Philippe II d’Espagne mettant la France en danger de mort. A partir de cet incident, elle va vouer une haine farouche à Coligny et va songer à le faire assassiner, parce que tuer Coligny, pour elle,  n’est pas un assassinat, c’est une mesure de salut public commandée par la raison d’Etat.  Nous sommes en août 1572.

Et lorsque son fils Henri III était au pouvoir ses sujets souhaitaient sa mort, non tant les huguenots que les catholiques outrés d’indignation. Car ce roi eut le tort d’attenter à la bourse de ses sujets, notamment de ceux qui se tenaient habilement en marge de l’impôt. C’est une politique impardonnable: il institua, de façon très moderne, un impôt régulier bien reparti sur l’ensemble des Français aisés, frappant à la fois le capital et le revenu. Ce fut une abomination: il était non seulement sodomite mais en plus « socialiste » (cela nous rappelle, de nos jours, les technocrates suceurs d’impôts, mais bardés de privilèges et prébendes à partir de nos impôts!!!).

Catherine de Médicis fut une admirable bâtisseuse: les Tuileries, Chenonceaux, l’hôtel de Soissons, les tombeaux de Saint Denis; elle legua aussi ses collections, ses manuscrits antiques et tous les arts auxquels elle donna un élan: la musique, le ballet, la cuisine. Son oeuvre survivra par des créations posthumes réalisées à l’image des siennes qui s’appellent le Luxembourg, le Palais Cardinal, tous les dômes de Paris conçus dans la lignée de ses propres monuments, et beaucoup d’églises.

Pierre de l’Estoile nous a transmis ce petit poème en forme d’épitaphe sur elle fort à propos:

La reine qui ci-git fut un diable et un ange / toute pleine de blâme et pleine de louange / Elle soutint l’Etat et l’Etat mit à bas; / Elle fit maints accords et pas moins de débats; /  Elle enfanta trois rois et cinq guerres civiles; / Fit bâtir des châteaux et ruiner des villes / Fit bien de bonnes lois et de mauvais édits / Souhaite-lui, passant, Enfer et Paradis.

  CATHERINE DE MEDICIS, Flammarion 1986,    ISBN 978-2-0806-48938

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