Là où chantent les écrevisses de Delia Owens

Delia Owens - Babelio Delia Owens est une écrivaine nord-américaine (Georgia 1949) diplômée en zoologie et biologie ayant vécu 23 années en Afrique pour y mener des études sur les espèces animales en danger.

Là où chantent les écrevisses (Where the Crawdads Sing 2018) est son premier roman qui a nécessité une dizaine d’années de travail, un livre qui est resté 97 semaines sur la liste des best sellers du New York Times et qui fut aussi le livre le plus vendu sur Amazon (plus de 7 millions vendus de par le monde…). C’est un vrai roman d’apprentissage et aussi un roman écologiste.

Un film est sorti en 2022, dirigé par Olivia Newman. J’ai beaucoup aimé ce film long (2 h), tellement fidèle à l’histoire et qui a réussi à m’émouvoir presque davantage que la prose. L’histoire policière greffée à cette histoire humaine, est l’axe autour duquel se développe le film. Les paysages des marais sont à couper le souffle et m’ont rappelé un livre que j’avais adoré, Le prince des marées de Pat Conroy (1986).

Drôle de titre pour un livre et à ce propos l’écrivaine explique que la phrase vient de sa mère qui la tenait du grand père, voulant dire « va le plus loin possible et tu entendras les écrevisses chanter », c’est à dire, écoute la nature,  va aussi loin que tu peux dans la nature là où les animaux sont encore sauvages, où ils se comportent comme de vrais animaux.

C’est une très belle et émouvante histoire, l’histoire de l’immense solitude d’une sauvageonne abandonnée par sa mère à 6 ans dans les marais de Caroline du Nord, puis par ses deux soeurs et deux frères (qui fuiront le père) et finalement par son père (un alcoolique violent). Elle a du survivre dès ses 7 ans dans un état de solitude miséreuse inimaginable, la plupart du temps devant se cacher dans le marais qu’elle connaît à la perfection, car les prédateurs humains posaient problème régulièrement.

Le roman est un hymne à la nature avec détails sur la flore et la faune, spécialement sur les oiseaux. Mais le côté scientifique ne s’alourdit jamais au détriment de cette bonne intrigue. La petite fille est Catherine Danielle Clark connue comme Kya, elle habite la cahute de ses parents, lointaine de 7 Km du village le plus proche, Barkley Cove; nous sommes en Amérique dans les années 50 et ces blancs pauvres vivent comme au Moyen Âge, pieds nus, couchant dans des matelas à même le sol et les enfants laissés  dans un total illettrisme. Et pourtant, les deux parents avaient des origines bourgeoises, mais ils tombent dans la déchéance.

Nous allons suivre Kya au fil des années et nous serons étonnés de constater la connaissance qu’elle a de son microcosme, l’intérêt et le respect qu’elle porte à la nature. Le tournant dans sa vie se fera quand son ami des marais, Tate, lui apprendra à lire. A partir de là, Kya n’arrêtera pas de s’instruire en lisant des ouvrages fournis par son ami Tate qui deviendra un grand biologiste. Mais Tate va la trahir quelques années après, ce qui va ébranler sérieusement l’esprit de Kya qui va comprendre que l’on ne peut faire confiance à personne. Jeune fille devenue belle et sauvage, elle fera la connaissance du mauvais garçon qui va l’entraîner dans la violence. Quant à elle, elle publiera des livres à succès qui la feront connaître comme une grande spécialiste de la faune et de la flore du marais côtier.

L’écriture est par moments très lyrique et elle s’envole pour nous décrire les créatures du marais…elle avait observé les hérons de près, toute sa vie. Cet oiseau à la couleur d’une brume grise qui se reflète dans l’eau bleue. Comme la brume, il peut s’évanouir dans le décor et disparaître complètement, à l’exception des cercles concentriques de ses yeux fixes et perçants. C’est un chasseur patient, qui attend seul le temps qu’il faut pour se jeter sur sa proie ou, en la guettant, il s’en approche lentement, un pas après l’autre comme une demoiselle d’honneur prédatrice. Et pourtant, en de rares occasions, il chasse en vol, fond subitement, le bec en avant, telle une épée.

L’originalité de ce livre réside pour moi dans une bipolarité de la teneur : la vie de Kya dans un cadre écologique tellement spécial et bien décrit, puis le drame humain d’une mort violente dont nous suivrons pas à pas les conséquences jusqu’à la fin de l’énigme, fin surprenante d’une violence presque tellurique.

Un livre envoûtant qui ébranle le lecteur. Delia Owens a dit que Kya avait beaucoup d’elle: l’amour de la nature et de la recherche scientifique. D’avoir longuement étudié les animaux, elle conclut que nous sommes faits pour faire partie d’un groupe fort mais si nous restons isolés, c’est l’instinct qui prend le dessus.

LÀ OÙ CHANTENT LES ÉCREVISSES, Éditions du Seuil 2020 (D.O. 2018),  ISBN 978-2-02-141286-4

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