La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole

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John Kennedy Toole fut un romancier américain (La Nouvelle Orleans 1937-1969) détenteur d’un Master en littérature anglaise de l’université de Columbia, N.York    ; un écrivain qui s’est donné la mort à 31 ans par asphyxie, après les échecs de publication de La Conjuration des imbéciles, livre que lui valut un Prix Pulitzer à titre posthume en 1981 car publié grâce à l’obstination de sa mère, convaincue qu’il s’agissait d’un chef d’oeuvre…

J’ai lu, il y a peu, La bible de néon, un livre écrit par Toole vers 1953 à l’âge de 16 ans ! livre trouvé par sa mère dans les papiers laissés par l’écrivain et publié en 1989, quelques vingt ans après son suicide et après l’énorme succès de La Conjuration des imbéciles: c’est un roman de jeunesse, un roman de formation et aussi un roman posthume, comportant des maladresses certaines mais un charme indéniable, beaucoup d’émotion et le reflet d’une maturité étonnante pour cet âge si tendre.

La conjuration des imbéciles (A Confederacy of Dunces, 1980), couronné par le Prix Pulitzer 1981 à titre posthume, vendu alors à plus de 1,5 millions d’exemplaires et traduit dans quelques 18 langues, est un drôle de livre qui ne ressemble à aucun autre livre  car c’est une énorme galéjade  qu’il faut lire au premier ou au deuxième degré, où l’on sent rôder la présence de l’auteur, son vécu, ses problèmes, son désarroi. Je dois avouer qu’il m’a fallu un peu plus de 100 pages pour me sentir en immersion et en compréhension avec le texte.

C’est un livre important aujourd’hui dans la littérature du Sud des USA. Le livre fut écrit à Porto Rico où J.K. Toole séjourna 2 ans en tant que militaire, enseignant l’anglais aux recrues de langue hispanique. La structure du livre serait calquée sur le livre fétiche du protagoniste Ignatius J. Really, livre qu’il ne cessera  de citer Consolation de Philosophie du philosophe latin Boèce du VIè aJC.

Le titre en anglais fait allusion à Jonathan Swift, cité dans l’épigraphe : « quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on peut le reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui« . Il semblerait que c’est après tous les échecs de publication que Toole ait ajouté cette citation. L’utilisation du langage coloquial de la Nouvelle Orléans et du petit nègre m’ont gêné dans la lecture, la rendant plus ardue, nécessitant par moments une deuxième lecture pour une meilleure compréhension de ce parler créole/cadjin (chapeau bas au traducteur Jean-Pierre  Carasso pour la qualité du travail et le rendu phonétique du langage).

Mais quelle lecture, Morbleu, et si je n’ai pas réussi à me luxer la mâchoire avec le rire, parfois ce rire a fusé tout seul. Il y a une vigueur et un tel foisonnement d’idées que cela donne par moments un petit vertige, comme si l’auteur avait tellement de messages à faire passer que cela se bousculait et partait dans tous les sens.

Il semblerait que cette oeuvre magnifique et unique, soit marquée par une certaine malédiction car plusieurs tentatives d’adaptation pour le cinéma et le théâtre se sont soldées par un échec retentissant.

LE THÈME: c’est l’histoire de Ignatius J.Reilly à La Nouvelle Orléans en 1963, un loser magnifique,  obèse, trentenaire, vivant encore chez sa mère, spécialiste de Boèce et de littérature  médiévale et affublé de tous les défauts du monde. C’est un anti héros patenté. Je ne lui ai trouvé aucun côté sympathique ou emphatique: c’est un désastre humain fait d’un obèse sédentaire, hypochondriaque, imbu de sa personne, asocial, délirant, excentrique, mélancolique, intellectuel marginal, caustique, phobique, anachronique, menteur, fabulateur, aigri, misogyne, homosexuel refoulé, sale, désordonné, scatologique, nihiliste, décalé, grossier, méprisant, arrogant, égocentrique maladif, bourré de tics, capable de dire « décidé à ne fréquenter que mes égaux, je ne fréquente bien évidemment personne puisque je suis sans égal« .   Et à côté de cette montagne de défauts,  surgit un être si déboussolé, si profondément humain, si érudit, si hypersensible, si voué au désaccord universel. Il finit toujours par ramener tout à ses obsessions autour de la vulgarité à la face de la théologie et de la géométrie, du goût et de la décence (sic), c’est son leit motiv.

Et cet énorme personnage vit aux crochets de sa mère car il est incapable de travailler, de rester soumis et neutre. Sa mère, excédée et criblée de dettes par la faute d’Ignatius, le somme de travailler. C’est le début d’une série d’aventures calamiteuses pour tout le monde jusqu’au climax final. Et comme dit Ignatius « il faut affronter l’ultime perversion, aller au travail ».

En revanche, il passe le plus clair de son temps vautré et enfermé dans sa chambre à noircir des cahiers Big Chief où il consigne ses expériences avortées, ses diatribes contre le monde entier, les accusations contre le siècle et les lettres qu’il voudrait envoyer à la copine activiste et totalement toquée.

Dans son discours, Ignatius ne parle pas, il pérore et traite tout le monde assez mal y compris sa pauvre mère et c’est très drôle car anachronique. La drôlerie émane de la totale inadaptation d’un tel personnage vis-à-vis du monde entier.

Il existe des coïncidences troublantes entre le personnage  d’Ignatius et son créateur: 1) ce sont deux écrivains sans publications;  2) ce sont deux fils uniques d’une mère hyper protectrice;  3) ils ont du mal à définir leur sexualité;  4) ils vont connaitre un départ violent après une dispute avec la mère;  5) la relation équivoque avec sa copine hystérique Myrna Minkoff;  6) la fascination vers le Nord (New York).

Les personnages secondaires sont fabuleux : sa mère castratrice  pour commencer qui noie son désespoir dans l’alcool qu’elle cache dans le four; la meilleure amie de la mère, l’italienne Santa; le policier Mancuso neveu de Santa; la copine activiste, fugueuse et folle, Myrna Minkoff; Miss Trixie la comptable sénile; le couple Lévy propriétaires de l’usine à pantalons Lévy (un clin d’oeil aux jeans Liváis?); Lana Lee la tenancière du bouge Les Folles Nuits; Miss Annie la voisine-espionne; le cacatoès de Darlene et tant d’autres, et mon  personnage préféré le « nègre » Jones, balayeur du bouge, un summum de bon sens, de la drôlerie et de la bouffonnerie fine.

C’est un roman excellent, reflétant de façon si détaillée la vie des petites gens à La Nouvelle Orléans, avec en profondeur une critique sociale acerbe restée très actuelle, 30 années après la publication (emplois sous payés, société de consommation, TV, cinéma, etc). C’est un bijou d’humour noir, absurde et  transgressif avec quelque chose de profondément tragique.

Autre livre de l’auteur : La Bible de Néon.

LA CONJURATION, 10/18 N° 2010 2016 (Thelma Toole 1980),  ISBN 978-2-264-03488-5

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