Une odeur de gingembre d’Oswald Wynd

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Oswald Wynd était un écrivain écossais (Tokyo 1913-Dundee 1998) qui avait la double nationalité : écossaise et japonaise car il a vécu une grande partie de sa vie au Japon. Il est l’auteur de romans policiers écrits sous le nom de plume de Gavin Black.

Une odeur de gingembre (The Ginger Tree, 1977) est son roman le plus connu; c’est un roman historique, très fouillé avec beaucoup de détails, qui se déroule au Japon au début du XXè siècle et cette écriture prolixe m’a rappelé celle d’Honoré de Balzac pour nous dépeindre la vie courante de la fin du XIXè siècle dans son oeuvre La Comédie humaine.

Une série télévisée britannique en 4 épisodes a été tournée en 1989 et dirigée par Anthony Garner. Vous pouvez la regarder sur Youtube (en anglais) en 14 videos d’environ 15 minutes chacune en tapant The ginger tree- Youtube. Je la conseille vivement aux lecteurs ayant apprécié la lecture de ce roman. Mais je dois préciser que  la série me semble très en déça du livre, comme c’est souvent le cas. Ici nous avons une libre adaptation du roman avec des changements importants  et escamotage pur et simple d’autres choses.  La qualité des couleurs du film est très moyenne  , les couleurs sont très sombres. Il est important d’avoir lu le livre car le film va trop vite sur certains aspects de la vie de l’héroïne.

Une odeur de gingembre démarre en 1903 lorsque l’intrépide Mary Mackenzie, une jeune écossaise âgée  de 20 ans, part  rejoindre  son futur mari, Richard Collingsworth, militaire en poste en Chine, un homme d’un rang social supérieur au sien. La mère de Mary est une veuve d’une rigidité morale au dessus du commun. Le titre du livre provient de l’arbre que Mary aura dans le jardin de sa petite maison tokyoïte (après l’épisode chinois), un gingembre, un arbre qui pousse difficilement à Tokyo et qui possède de belles feuilles pointues qui rougissent en automne, et quand on froisse une de ces feuilles entre les doigts, il se dégage une légère odeur de gingembre. Lorsque Mary, des années plus tard, sera chassée du Japon, son dernier geste en abandonnant sa maison, sera de froisser une feuille de cet arbre aromatique qui a tant lutté pour s’acclimater, tout comme elle qui a tant lutté pour s’insérer dans ce pays.

Or Mary, malgré une apparence très conventionnelle et un manque d’expérience évident, va se montrer très vite plus que hardie . Son premier geste de révolte sera de se séparer du corset, sous-vêtement féminin indispensable à l’époque chez toute femme convenable. Elle enverra son corset au fond de la valise au cours de la longue traversée en bateau depuis la Grande Bretagne. Elle se mariera en Chine et aura très vite une fille, Jane; la famille s’installera dans une résidence qui correspond aux canons de confort de l’époque, c’est à dire ni plus ni moins que le Moyen Âge pour une écossaise en 1903. Son mari partira bientôt en campagne aux confins de la Chine, pendant de longs mois au cours desquels Mary retrouvera une connaissance,  un militaire japonais, le comte et capitaine Kurihama  croisé dans un dîner en ville chez des amis . Le comte Kurihama soigne ses blessures de guerre et en même temps  médite sur son rôle dans la mort de plusieurs de ses hommes au cours des combats. Lors d’une invitation pour prendre le thé (ce qui déjà est une transgression), Mary se donnera à lui et entamera une liaison qui se compliquera d’une grossesse. Alors qu’elle a la possibilité de pratiquer un avortement, Mary décide de garder cet enfant. Lorsque son mari rentrera de permission, la grossesse de Mary est évidente et elle sera répudiée et la garde de sa fille lui sera enlevée.

Mary ne sait pas quoi faire de sa vie et elle ne peut pas rentrer en Écosse parce que sa mère l’a banni de la maison familiale. C’est alors qu’elle se fait aborder par un émissaire du comte Kurihama et se voit proposer de s’installer à Tokyo aux frais du comte. Lorsque l’enfant naît et qu’il est âgé de quelques mois, il sera kidnappé et placé dans une famille dans le seul but de l’élever pour le marier plus tard à une fille de cette famille. Ceci serait une coutume ancestrale pratiquée au Japon : l’enfant adultérin d’un homme de classe aristocratique, et à condition que cet enfant ait les traits de la race nippone, serait enlevé à sa mère sans que celle-ci ait le moindre droit de regard. L’enfant est ainsi « placé » au sein d’une famille de rang élevé qui aurait une fille du même âge à marier, tout ceci afin de consolider une union plus tard entre deux familles de même importance. Voilà une coutume bien barbare à nos yeux d’occidentaux où les droits de la mère ne peuvent pas être aliénés avec autant de facilité.

Mary aura beaucoup de chagrin et aucune possibilité de rétorsion; elle va trouver un travail dans un grand magasin de Tokyo au rayon qui vend de la mode occidentale et petit à petit deviendra connue jusqu’à fonder un jour sa propre maison de couture. Elle deviendra riche , mais ne reverra jamais son fils. A la suite de l’attaque de Pearl Harbor, elle sera contrainte, en tant qu’étrangère, d’abandonner le Japon et de laisser tous ses biens.

Ce livre est très intéressant à lire parce qu’il y a foultitude de détails sur la vie en Chine vers 1903-1905 et sur la vie au Japon entre 1905-1944 . Mary Mackenzie compare les deux pays, du point de vue de l’hygiène :  « comparé à la Chine, le Japon est un paradis pasteurisé« , sic page 288.  Lorsque notre héroïne compare les caractères des chinois et des japonais, elle dit …Je dois admettre que les Chinois ont besoin de discipline, que ce soit de l’extérieur ou de l’intérieur, mais je ne vois pas en quoi les Japonais sont les gens qu’il faut pour la leur administrer. Je crains que ce ne soit des conquérants au coeur de pierre, qui exigent une soumission totale de ceux qu’ils ont conquis. J’ai parfois le sentiment que les Japonais sont d’une dureté totale envers tout ce qui ne concerne pas leurs îles, ni leur fameux « nationalisme ».

Dans le Japon de 1905 existaient déjà des habitudes d’aujourd’hui comme par exemple le fait que les magasins soient ouverts toute la nuit et que l’on puisse, soit faire des emplettes à n’importe quelle heure, soit payer les redevances aussi à n’importe quelle heure (gaz, électricité, téléphone, etc). Page 200 on lit (c’est Mary qui parle)…Tokyo me plaît, ce n’est pas beau à proprement parler, avec cette succession sans fin de petites maisons grises en bois à deux étages, mais c’est très animé et on y trouve bien plus de distractions populaires qu’en Chine, qui sont très bon marché quand ce n’est pas tout à fait gratuit. Je vais régulièrement dans les marchés de nuit qui sont ouverts chaque soir le long de la rue principale, Ginza, avec des étals portables éclairés par des lampes à acétylène et offrant tout ce que l’on peut trouver sur cette planète

Il y a un paragraphe très drôle sur les courbettes à la japonaise, ce qui me rappelle ce que racontait mon père qui avait résidé à Tokyo plus d’un an dans les années 70 : il fallait bien arrêter les courbettes à un moment donné parce que la politesse japonaise veut que ce soit le moins important des deux qui fasse la dernière; bref, l’exercice peut durer des heures… Page 246 on lit sur les courbettes…je commence à en savoir long sur les courbettes japonaises. On pourrait écrire un livre sur l’art des courbettes, qui est soumis à des règles encore plus strictes que la composition florale. Il y a des courbettes pour ceux qui vous sont socialement égaux, selon les circonstances de la rencontre, il y en a pour les supérieurs, pour les domestiques, pour les commerçants et même pour les conducteurs de tramways. Il y a les courbettes des hommes aux femmes, toujours légères, et celles des femmes aux hommes, toujours très profondes, plus une collection impressionnante de courbettes aux femmes entre elles, qui sont un langage en elles-mêmes. Sans prononcer un seul mot, une dame peut vous placer exactement au rang qu’elle estime être le vôtre, et vous ridiculiser parfaitement si vous n’avez pas compris le statut qui vous était assigné, ce qui est généralement le cas pour les nouveaux venus dans ce pays qui est le plus poli au monde…

En 1909 le Japon a déjà commencé une rapide industrialisation qui ne s’arrêtera plus, Mary Mackenzie voyage à Osaka et constate…le monde commence à recevoir des marchandises japonaises, les cotonnades bon marché d’Osaka inondent l’Inde, en taillant de véritables croupières aux fabriques britanniques. C’est dans une ville industrielle comme Osaka que l’on perçoit réellement cette volonté intense et tenace de conquérir le monde, ce qui est sans doute une des raisons de mon manque d’attrait pour cette ville, sans parler de sa laideur totale. Dans le nouveau Japon qui se profile, les étrangers n’auront aucun rôle à jouer. Il n’y aura aucun besoin d’une Révolte des Boxers pour chasser les Occidentaux par la force : ils ne trouveront tout simplement aucun intérêt à y rester. Il est impossible dans ce pays à un étranger d’arriver dans une communauté composée d’autres étrangers sans être précédé d’un rapport sur son compte.

Mary s’initiera non seulement à l’art subtil des courbettes, mais aussi devra subir les tremblements de terre et les tsunamis qui sont si nombreux dans l’archipel, où, quand il se passe quelques jours sans secousse tellurique, les habitants commencent à les désirer sous peine de devoir subir un cataclysme...il y a eu un tremblement de terre la nuit dernière. Le temps aurait dû m’alerter, car après la neige qui est tombée plus tôt ce mois-ci, il y a eu un redoux, presque chaud et humide, « un jour annonciateur de tremblement de terre » comme disaient mes servantes de Tsukiji. Il s’est produit vers une heure et demie la nuit, alors que j’étais couchée mais ne dormais pas. Il y a d’abord eu une accalmie, comme si tous les bruits nocturnes de la ville avaient été éteints, puis un grondement comme aurait pu en causer un train lourdement chargé passant sur un pont métallique. Dès que les secousses ont commencé, j’ai su que celui-ci allait être différent de tous les tremblements de terre que j’avais déjà subis. J’ai enfilé le kimono ouaté qui me sert de robe de chambre et je descendais le petit escalier raide quand cela s’est mis à cogner tant que l’on se serait cru dans un wagon de chemin de fer conduit par un mécanicien ivre. J’ai été projetée puis j’ai perdu l’équilibre et j’ai glissé sur une natte de paille où j’ai eu l’impression de rebondir dans une couverture. Je pouvais entendre, par dessus les craquements et les grognements de ma maison les cris de mes voisins déjà sortis dans leurs jardins. Mon jardinet me faisait courir le risque de recevoir une tuile sur la tête, mais il fallait quand même que je m’y réfugie. Je me suis frayée un chemin par la porte coulissante de la cuisine dans un grand fracas d’objets tombant des étagères, avec une lumière que j’avais allumée en route et qui a éclairé le seul élément décoratif de mon jardin, un grand buisson de camélias, en train de danser la gigue comme s’il avait tout à coup été possédé par un démon qui serait passé par là et l’aurait agité d’un tremblement jusqu’à la pointe de ses feuilles lustrées qui persistaient en hiver.

C’est une lecture très agréable que ce livre, mais  l’on sent bien que c’est un homme qui a écrit la vie de cette femme, de façon très fouillée avec beaucoup de détails, mais sans aucune sentimentalité ni développement quant aux états d’âme de l’héroïne, cette maîtresse femme que fut Mary Mackenzie, une véritable aventurière, femme de tête et « business woman » avant la lettre. Aucun échange tendre entre elle et son mari, ni entre elle et son amant.  Je n’ai pas compris pourquoi elle s’est donnée au capitaine japonais, car jamais il n’a été fait mention dans le roman d’une forte attirance entre elle et le militaire, ni d’un état d’âme quelconque.  Ce livre fut écrit par Oswald Wynd à l’âge de 74 ans, probablement en faisant l’amalgame de souvenirs et de faits divers remontant à son enfance et  au cours de sa vie d’adulte puisqu’il a vécu une grande partie de sa vie au Japon.

UNE ODEUR DE GINGEMBRE, Quai Voltaire 1977,  ISBN 2-7103-2722-8

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