Un hiver avec Schubert d’Olivier Bellamy

Afficher l'image d'origineOlivier Bellamy (Marseille 1961) est un journaliste, grand reporter, éditorialiste (au Huffington Post), animateur radio et écrivain français. Il a écrit plusieurs livres qui ont connu un franc succès, dont une très belle biographie de Martha Argerich.

Un hiver avec Schubert (2015) est un livre très chaleureux sur le grand musicien que fut Franz Schubert (l’un des favoris de Bellamy avec Mozart et Chopin). Il paraît que l’idée d’écrire ce livre lui est venue en voyant la collection  Un été avec…(Éditions des Équateurs),  et il a du être  inspiré aussi par le Voyage en hiver de Franz Schubert (24 lieder). J’ajoute qu’il aurait pu s’inspirer aussi d’Un Hiver à Majorque de George Sand, écrit l’hiver 1838, et qui relate le voyage catastrophique à Majorque des deux amants avec un Chopinet (c’est ainsi qu’elle l’appellait) très malade; ce voyage de quelques mois  a été le chant de cygne de leur amour.

Un hiver avec Schubert n’est pas une autre biographie sur Franz Schubert, bien que des faits sur sa courte vie (31 ans) soient esquissés dans l’essai. C’est un livre sur la musique de Schubert, sur l’oeuvre immense du musicien, un livre destiné aux gens qui connaissent techniquement la musique et qui ont une connaissance assez approfondie de l’oeuvre du musicien, lequel nous a legué plus d’un millier d’oeuvres écrites en seulement 19 années! Il composait entre 6 et 13 heures par jour…  Monsieur Bellamy slalome très à l’aise entre les croches, sait lire la musique et donne son avis éclairé. Ce n’est pas un ouvrage pour le profane bien qu’il se laisse lire très bien parce que bien écrit et chaleureux.

Franz Schubert est bien décrit dans le livre : il mesure un mètre cinquante-sept, le front et le menton sont proéminents, les yeux très doux et expressifs, le nez petit et les lèvres pleines. Le visage est mobile. Il est myope et porte des lunettes. Son teint est pâle. Sa démarche vive et vigoureuse. Il a un corps solide, arrondi, trapu, avec une forte ossature et des muscles énergiques. Ses doigts sont courts et gros. Il s’entend bien avec tout le monde. Il est confiant, franc et incapable de ruse. D’humeur égale.

Selon Bellamy, Schubert est le compositeur de la douleur, c’est sa vieille compagne, sa soeur, son double (un romantique pur teint :  des sentiments qui  baignent dans ce spleen de l’âme, le bien nommé sehnsucht des allemands…). Il connait toutes les nuances nobles et mystiques de cette douleur. Vivre pour lui c’est endurer et subir et le courage il l’exprime dans son acceptation et sa transmutation. La musique, fruit de cette métamorphose, n’est pas du bruit ordonné, c’est l’expression de ce silence, la réalisation sublime d’une blessure muette.

Voilà pourquoi tant de thèmes schubertiens donnent l’impression de pleurer et de rire en même temps. Voilà pourquoi ses mélodies dans le mode majeur possèdent déjà, avant toute modulation, ce fond de sehnsucht (mélancolie) : on pressent le passage en mineur, on l’attend…on l’entend déjà dans son majeur (page 56).

Schubert a composé beaucoup de lieder, et le lied est à Schubert ce que la mazurka est à Chopin : le coeur battant de son oeuvre poétique parce qu’il y met des poèmes en musique, mais parce qu’il se comporte en poète lui- même. Il est d’une grande  fidélité au texte. Dans ses choix rythmiques, tonals et mélodiques, il campe immédiatement un climat, un caractère, un style qui sont le reflet direct d’une vision d’artiste sur le sujet. Il ne se trompe jamais sur le sens du poème. Mieux, il en extrait le sens caché. Schubert revient au lied tout au long de sa courte vie, avec un pic en 1815 et 1816; c’est Schubert qui a crée le lied allemand : il en a écrit 650…inventant une forme poétique forte et ouvrant la voie à Schumann, Brahms, Wolf, Berg.

Pour Olivier Bellamy Schubert est difficile à interpréter et cette difficulté proviendrait du son :  dès que un pianiste pose ses mains sur le clavier l’on sait s’il a ou pas le bon toucher, parce que Schubert serait essentiellement vocal, d’un chant intérieur, simple et immémorial. Pour jouer Schubert il faut accepter d’être seul dans la multitude, c’est la musique la plus proche du silence.

L’écrivain soulève l’hypothèse suivante : si Franz Schubert n’est pas aussi connu c’est parce qu’il n’a pas quitté Vienne, il ne s’est pas formé en Italie, il n’était pas assez connu pour qu’un directeur misait sur lui, il n’était pas assez manoeuvrier pour se faire des relations utiles, pas assez malin pour mettre en musique une pièce à la mode, pas assez désireux d’obtenir le succès à tout prix.

Vers la fin de sa vie (1827) Schubert entendit les poèmes Voyage en hiver (Winterreise) de Muller, un poète qui l’avait beaucoup inspiré et alors qu’il traversait une période de grande dépression et d’épuisement physique, il composa en quelques jours douze lieder dont le seul incipit musical contient toute l’oeuvre et l’âme de la musique. Après la mort de Beethoven en mars 1827, il se lance dans la composition de la deuxième partie de Voyage en hiver : encore 12 lieder, mélange de lucidité et de tendresse, de désespoir et de beauté, d’oubli de soi, d’oubli du chant sans cesser d’être de la musique.

Dans son Dictionnaire amoureux du piano, Olivier Bellamy signalait Ständchen de Schubert-Lizt comme le disque qu’il ferait écouter à des extra terrestres s’il les rencontrait. Dans Un hiver avec Schubert, il affine un peu sa position par rapport au musicien et il cite le Quintette de « La truite » dans plusieurs interprétations  et la Sonate arpegionne comme étant les musts qu’il emporterait sur une île déserte.

Qu’est-ce que la musique ? (ce paragraphe est très beau, je vous le cite en entier) : C’est une pensée, dit le compositeur. C’est une construction, dit un autre compositeur. C’est une suite d’équations, dit le mathématicien. C’est l’art de combiner des sons, dit le musicologue. C’est une émotion, dit timidement l’amateur. C’est une révélation, dit le poète. C’est le langage de l’âme, dit l’écrivain. C’est une friponne, peste le philosophe, agacé d’être distancé avec plus de force et de charme. C’est un miracle divin, dit le prêtre. C’est ma vie, dit le musicien. C’est mon gagne-pain, dit un autre musicien. C’est…commence l’indécis. C’est ! tranche l’homme d’esprit. C’EST QUOI ? demande le sourd. 

Tous s’accordent sur le fait qu’il s’agit d’un mystère.

Très joli livre plein d’esprit et de bienveillance, une lecture dans le cadre de Masse Critique avec un grand merci à Babelio  et aux Éditions Buchet-Chastel.

Autre livre commenté : Dictionnaire amoureux du piano.

UN HIVER AVEC SCHUBERT, Bouchet-Chastel 2015,  ISBN 978-2-283-02796-7

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