Marie Laurencin de Bertrand Meyer-Stabley

  Bertrand Meyer-Stabley est un journaliste mi français mi-irlandais. Il a travaillé pour le service de presse de la princesse Margaret en 1977 et il est l’auteur de nombreuses biographies ( plus de 30 !) sur des femmes du XXème siècle, véritables mythes de leur époque.

Ce livre je l’ai acheté au Musée Marmottan-Monet, à l’occasion de la merveilleuse exposition dédiée à Laurencin, peintre qui m’intéresse depuis longtemps et sur laquelle j’avais déjà la biographie de Flora Groult,  de 1987. C’est le premier musée français à organiser une exposition de l’artiste, plus de 50 années après sa mort (1956); l’exposition a eu lieu à Paris  entre février et juillet 2013, elle a du  été prolongée de 1 mois en raison du succès phénoménal d’affluence. C’était une très belle exposition qui a réuni plus de 92 oeuvres (72 peintures et 20 aquarelles), de sa meilleure période (1905-1935) et en provenance majoritaire du Musée Laurencin au Japon,  que deux mécènes japonais lui ont consacré à Nakano-ken, près de Tokyo. Aussi, cette exposition voulait célébrer le 130 ème anniversaire de sa naissance (1883). Les japonais éprouvent un réel engouement pour la peinture de Laurencin et je pense que ce sont les yeux des personnages féminins, en amande, légèrement fendus et étirés qui provoquent cette forte  attirance.

C’est un livre extrêmement documenté, intéressant, de style élégant, sans aucune complaisance ni médisance. Alors que la biographie de Flora Groult comporte un certain parti pris, une certaine retenue vis-à vis de celle qui fut une amie très intime de sa mère, Nicole Groult, et la marraine très présente de sa soeur Benoîte. Lire ce livre est faire une plongée fantastique dans cette période de forte créativité artistique avant la guerre de 14-18 et jusqu’aux années 50.

Marie Laurencin était une enfant naturelle, élevée par une mère d’origine normande, couturière et discrète; son père, Paul Stanislas Toulet, d’origine picarde,  ne l’a jamais reconnue. Marie Laurencin en a souffert toute sa vie, bien qu’elle put avoir  une bonne éducation au Lycée Lamartine de Paris. Après le lycée, elle est entrée à l’École de Sèvres pour apprendre la peinture sur porcelaine, puis à l’École de Dessins de la Ville de Paris où elle a travaillé avec une autre femme peintre que j’apprécie beaucoup, Madeleine Lemaire (1845-1928). Elle a intégré  quelque temps après,  l’Académie de peinture Humbert, boulevard de Clichy,  où elle fit les premières rencontres artistiques qui vont lui permettre d’ intégrer la joyeuse et talentueuse bande du Bateau Lavoir à Montmartre (Picasso, Fernande Olivier, Picabia, Apollinaire, le Douanier Rousseau). En pleine période des fauves, elle n’adoptera jamais les couleurs stridentes du mouvement et Rodin dira un jour… »au moins , en voilà une qui n’est pas qu’une fauvette; elle sait ce qu’est la grâce, elle est serpentine ». D’ailleurs sa palette de couleurs est tout un mystère, elle utilisa toute sa vie peu de variations: laque de garance, rose « Marie Laurencin »( dont elle n’a jamais livré le secret), bleu de cobalt, vert émeraude, noir d’ivoire, ocre jaune et du plus pur blanc; palette simple et minérale, couleurs claires. Bertrand Meyer-Stabley écrit page 96  « elle est moquée par le très snob J-E Blanche comme « la Perrette et le pot à lait du cubisme » et Jean Cocteau la plaindra en écrivant « pauvre biche, prise au piège entre les Fauves et les Cubistes ».

Elle fut la compagne pendant 5 ans du poète Guillaume Apollinaire, aussi un enfant naturel comme elle. Ils ont vécu une liaison orageuse, riche sur le plan artistique et intellectuel. Marie Laurencin fut la muse incontestée du poète qui lui dédia un de ses poèmes le plus connu Sur le pont Mirabeau ou cet autre poème Mon Destin : « Mon destin ô Marie est de vivre à vos pieds / en redisant sans cesse ô combien je vous aime ». Guillaume Apollinaire a contribué au lancement artistique parisien de Marie parce qu’il croyait ferme dans son talent de peintre: il chante sans cesse ses louanges, tresse ses couronnes de lauriers magnifiques, peaufine ses éloges dithyrambiques, s’émeut devant ses silhouettes fines et déliées, le trait noir  charmeur des yeux en amande de ses jeunes filles, les courbes élégantes et la gravité mélancolique de ses personnages. Il soutient sa grâce, s’émerveille de la beauté de ses tableaux et surtout ne cesse de prodiguer ses conseils avisés à la jeune femme. C’est un merveilleux impresario à sa manière.  Après la rupture avec le poète et après son divorce d’avec le baron allemand Otto von Wätjen, elle devint l’égérie parisienne des Années Folles, avec une production picturale qu’elle confiait en exclusivité au marchand et galeriste parisien, Paul Rosenberg, le grand -père d’Anne Sinclair.

C’était une femme d’une beauté peu classique, elle possédait des cheveux crépus, une bouche assez épaisse mais bien retroussée, de longues jambes, elle était très mince et dégageait une certaine distinction, toujours vêtue sans ostentation, mais avec une certaine  recherche et  pulchritude.

La personnalité de Marie Laurencin est très intéressante car polyfacétique mais en même temps indéfinissable, très personnelle : fantasque, terriblement parisienne, assez primesautière et  fortement égocentrique (comme tout artiste qui se respecte); elle a vécu sa vie de manière totalement libre sans se préoccuper des ragots qui circulaient autour d’elle. Elle était affublée d’une forte myopie ce qui rendait son attitude un peu distante, un peu hautaine . C’est en somme une artiste attachante et raffinée qui a su créer son style pictural inimitable. Certains lui reprochent justement de ne pas avoir su se renouveler et de rester cantonnée dans ses pastels et ses couleurs acidulées, d’où son déclin après la deuxième guerre mondiale, lorsqu’elle devint « moins à la mode ». En tout cas, elle a été le témoin aux premières loges de l’aventure moderniste de l’époque.

Elle a été littéralement lancée comme portraitiste du Tout-Paris, après avoir exécuté le portrait de la baronne Gourgaud, dont elle fit deux tableaux. Après ce succès mondain le Tout-Paris voulait son portrait par l’artiste; les femmes sont très majoritaires parmi les sujets peints. Tous ses sujets ont ce regard velouté et profond des biches, en même temps que un subtil charme félin, éthéré, voluptueux, faits de volutes et de distinction. Le poète André Salmon fut l’un des premiers à saluer son talent et à dit avec justesse que sous une apparence frivole et légère, son art dissimule une force étrange et une profonde séduction (page 71). On peut aimer ou détester cette peinture, mais c’est un style délicat, évanescent, toujours égal, avec des couleurs tendres et d’une inspiration très poétique. Elle fut littéralement « la coqueluche » du Tout-Paris vers 1930, selon l’expression consacrée.

Il y a dans le livre une anecdote savoureuse entre Marie, Guillaume Apollinaire et le Douanier Rousseau. Ce dernier appréciait et fréquentait beaucoup le couple qui a souhaité se faire tirer le portrait par le Douanier. Or celui-ci peignit Marie comme une grosse dindonne, lui laissant les cheveux ruisselant sur les épaules, ne rendant pas l’ovale de son visage ni l’élégance de sa silhouette. Et quand Marie vexée lui fait la remarque, le cher Douanier lui répond d’un ton péremptoire  » Ton Guillaume est un grand poète, il a besoin d’une grosse muse ».Ce tableau a été exposé au Salon des Indépendants de 1909 sous le titre La muse inspirant le poète, mais tout le monde le nomme La muse d’Apollinaire. Il existe deux versions de cette toile et le couple avait la première.  Guillaume Apollinaire entra en fureur au vu de la toile et il voulait que Marie la descende « de toute urgence » à la cave, mais finalement le Douanier la vendit pour 3 000 francs au marchand Rosenberg.

Laurencin est peu connue par ses dons de poète, qui donnait l’échange à Apollinaire et à ses amies avec ses vers bien tournés. Elle avait aussi un joli trait de plume, reconnu par ses contemporains, assez éthéré, passant du coq à l’âne sans transition en suivant son imagination fertile et primesautière. Bertrand Meyer-Stabley écrit des choses très justes à la fin du livre :...grâce au recul, on peut considérer à présent son travail comme un pur produit du courant artistique des années 20; son oeuvre, décorative et délicate, est en accord parfait avec les grands courants de l’époque dans la mode, la décoration: mais elle possède en plus certaines qualités qui lui donnent une permanence que n’ont pas les arts éphémères, comme la Haute Couture, ou l’architecture intérieure. Son oeuvre se rapproche suffisamment dans son esprit de celle de ses amis Kisling, Foujita, Pascin ou Van Dongen pour pouvoir être associés à leur « école » de peinture décorative. Le succès de Marie Laurencin est dû, d’abord et surtout, à son sens de la couleur qu »elle emploie de façon enchanteresse et à la beauté de ses tableaux. L’oeuvre se caractérise aussi par sa continuité, fait assez remarquable pour une production qui s’étend sur un demi-siècle (page 212).

Elle s’est servie des couleurs comme les poètes des mots.

 Ci après l’une des deux versions du tableau de Marie Laurencin « Guillaume Apollinaire et ses amis » avec à gauche du poète Gertrude Stein, Fernande Olivier et une muse, au  centre le poète et à droite Pablo Picasso, Marguerite Gillot, le poète Maurice Cremnitz et Marie Laurencin habillée en bleu et au piano, le tableau est caractéristique du maniérisme cubiste (1909).

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MARIE LAURENCIN, Pygmalion 2011,  ISBN 978-2-7564-0430-1

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