Le cycliste de Tchernobyl de Javier Sebastián

Javier Sebastián est un écrivain espagnol (Saragosse 1962), auteur de romans et de recueils. Il vit à Barcelone.

Le cycliste de Tchernobyl  (El ciclista de Chernóbil) est paru presque simultanément en espagnol et en français: une prouesse éditoriale. Il a réçu  le Prix Cálamo  2013 (Cálamo est le nom d’une prestigieuse librairie culturelle de Saragosse, prix qui existe depuis 2001, ndlR),  avec une participation de l’Institut Français de Saragosse et plusieurs catégories à l’intérieur du Prix. Ce livre est un cadeau d’amis pour ces fêtes; qu’ils soient remerciés ici.

C’est un livre témoignage, terrible, dévastateur sur la catastrophe de Tchernobyl dont le réacteur prit feu en avril 1986. Il paraît que la magnitude de la catastrophe aurait pu être pire si il s’était ensuivi l’explosion nucléaire qui aurait pu raser l’Europe…Ceci dans un contexte de minimisation, désinformation, intox, de la part des autorités russes. Il y a une vision apocalyptique et métaphorique de situer ce roman entre un Tchernobyl dévasté et l’Avenue des Champs Elysées, l’une des avenues plus belles du monde, car si nous avions eu une déflagration nucléaire c’est toute l’Europe qui aurait été rasée. La vision que les gens peuvent encore avoir de la France depuis un pays où on dit aux gens le message le plus démagogue : « la France est un pays plein de possibilités, où règnent les droits de l’homme, la vérité de la science et la fraternité entre les citoyens de la République » ( vision idyllique de la RF ?page 148).

Ce qui est très curieux et intéressant est le fait que certains animaux, dont l’Homme , sont capables de s’adapter  aux doses de radiations subies. Mais il faudrait savoir combien de temps ces organismes irradiés  mettront à mourir d’un quelconque cancer. Selon la revue médicale The Lancet, l’Académie russe des Sciences prévoit un accroissement spectaculaire des cas de cancers, environ 270 000.

Le roman Le cycliste de Tchernobyl ne m’a pas plu en tant que roman car j’ai eu beaucoup de mal a rentrer dans le récit, que j’ai trouvé  mal écrit ou parce que il y a un problème avec la traduction; de plus, tous ces noms russes plus ou moins pareils, se prêtent à une confusion certaine. Cela dit, ce roman est une mine de renseignements qui ont dû coûter pas mal d’heures de documentation à Javier Sebastián. C’est un roman fictionnel qui se sert de personnages bien réels écrit dans un style plutôt journalistique que littéraire.

Suite à l’accident de Tchernobyl, en avril 1986, le physicien nucléaire Vassili Nesterenko, constructeur en chef de la centrale nucléaire mobile du projet Pamir, est prié de venir  à la rescousse des autorités pour faire face à la catastrophe. Or Nesterenko se rend vite compte que l’ampleur du cataclysme est niée et truquée par les autorités soviétiques. Du coup, il devient persona non grata et doit se réfugier en zone contaminée afin d’échapper aux menaces de mort de la part de la nomenklatura russe. Vassili essaie de mettre sa femme Ilsa à l’abri, mais elle n’échappera pas aux autorités qui feront pression sur lui en la renvoyant de force dans la zone contaminée. Le cycliste de Tchernobyl n’est autre que Vassili errant à bicyclette dans les rues vides et contaminées de Pripiat, ville dans le périmètre condamné par les autorités. Les russes qui revenaient en territoire contaminé on les appelait les samosiols,  les évacués de Tchernobyl, presque des pestiférés qui sont retournés chez eux, nom péjoratif parce qu’ils reviennent, n’ayant pas d’autre endroit où aller, c’est comme « pauvre » ou « t’es un crétin », personne ne les aime.

Le projet Pamir avait été baptisé ainsi par le Kremlin dans les années 70: le nom vient des montagnes d’Asie centrale, il évoque les nuits froides de la région de Haut-Badakhchan, où se dresse le cylindre du K2. Il s’agissait des recherches militaires grâce auxquelles les Soviétiques auraient neutralisé l’initiative de défense stratégique des USA. Mais à ce moment là Tchernobyl a explosé. Collaboraient au projet Pamir 110 usines et laboratoires disséminés dans toutes les républiques, à Kiev, à Tallinn, à Chisinau, à Tbilissi, à Erevan. Vassili Nesterenko était le coordinateur, le constructeur en chef, en plus de son poste de  directeur de l’Institut de l’énergie nucléaire de Biélorussie. L’idée du projet Pamir était de transformer leurs missiles SS-20 et SS-25 en missiles itinérants afin de déjouer les satellites des américains qui pouvaient localiser les missiles soviétiques. Ainsi ils fabriquèrent des camions spéciaux de transport et, comme ils ressemblaient à des mille-pattes à cause de leurs nombreuses roues, ils conservèrent ce nom. Pour alimenter en énergie les lanceurs des SS-20 et SS-25, qui devaient atteindre d’autres continents, il fallait des stations électriques fiables, très puissantes et aussi mobiles que les missiles, qui puissent les suivre. De sorte que les autorités chargèrent l’Académie des sciences de trouver une solution ingénieuse. Des physiciens présentèrent leurs projets et Nesterenko à l’avant-garde de l’énergie atomique, l’emporta en rédigeant un mémoire audacieux . Ainsi Nesterenko partit en Biélorussie travailler sur une centrale nucléaire mobile, assez légère pour être déplacée d’un site à l’autre. Dans des chambres stériles, des galeries, des salles expérimentales, des laboratoires, il accumula progrès et échecs. Le projet Pamir lui prenait des milliers d’heures d’essais avec les meilleurs physiciens de l’Union soviétique. Quatorze ans plus tard il livrait la première centrale nucléaire mobile: un réacteur de 50 cm de diamètre, contenant 50 kilos d’uranium et produisant 500 kilowatts. Deux camions mille-pattes suffisaient pour transporter le réacteur et son missile d’un endroit à l’autre, ce qui faisait d’eux une cible furtive. Il ne fallait pas plus de 4 heures pour obtenir l’énergie nécessaire au lancement des SS-20 ou SS-25. C’était là une nouvelle prouesse soviétique. On était le 23 mars 1986, 34 jours avant   l’explosion de Tchernobyl. Andreïev, président de l’Union des liquidateurs d’Ukraine, prétend que l’explosion de Tchernobyl fut un sabotage des services d’espionnage occidentaux, en réponse au projet Pamir.

Mais il faut penser aussi à l’incompétence des russes  qui ont fait tourner la centrale de Tchernobyl en surproduction d’énergie alors que les spécialistes étaient partis et que la troisième équipe, la plus faible du dispositif,  avec l’ingénieur Akimov, en poste seulement depuis 4 mois. On a la transcription des échanges verbaux au moment de l’explosion du réacteur: »qu’est-ce que je fais? ». Suis les instructions répond un autre. »Mais il y a des parties biffées » Peu importe, fais ce qui est écrit, même  si c’est biffé. « On peut faire ça? » Ne pose plus des questions, « Qu’est ce qui se passe? » Fais ce qui est écrit sur les parties biffées, tu as compris?  Ils ne savaient comment éteindre le feu et au comité central de Minsk ils estimaient qu’il ne fallait pas s’énerver puisque tout était en ordre. Ils avaient inondé d’eau le sous-sol de la centrale et ça n’avait servi à rien, tout en ruminant que c’était un sabotage !Foutue manière de justifier les maux de l’Union soviétique, son éternelle incompétence. Ils avaient peu  de dosimètres et ne savaient pas  ce qui s’échappait par le trou du toit, environ  20 000 röntgens par heure. Au début ils ont utilisé des robots pour retirer le graphite sur le toit du réacteur, mais ces robots ont été réduits à un tas de ferraille car la radioactivité altère les circuits et les met hors d’usage. En revanche les héros soviétiques ne s’arrêtent jamais; on leur a dit de suivre les instructions à la lettre: 90 secondes chronométrées, pas une de plus. Sur le toit, celui qui se retire dit à son remplaçant où il doit aller exactement et chacun récupère tout le graphite qu’il peut, à la pelle ou à la main: 90 secondes. Beaucoup reviennent le visage incendié et ne peuvent même plus se raser. Ils avaient besoin d’un million d’hommes pour éviter l’explosion nucléaire, explosion dont le risque ils l’avaient chiffré: entre 5 et 10%.

Le physicien Leonid Ouroutskoïev a passé 10 ans a étudier les causes de l’accident et son hypothèse refute toutes les autres: ni erreur humaine ni sabotage, ni défaut des réacteurs RBMK-1000; par endroits, la tuyauterie de conduite de vapeur, qui assure la circulation du liquide de refroidissement entre les réacteurs et l’un des turboalternateurs, passait au voisinage de câbles électriques fixés au mur. Ces câbles ont arraché leur fixation, brisé les protections qui les entouraient et se sont précipités violemment contre les tuyaux de vapeur. Un autre mystère est celui de 50 tonnes de combustible nucléaire qui ont disparu: elles n’ont pas été rejetées à l’extérieur et ne sont pas retombées dans les environs. Les scientifiques concluent que la composition isotopique d’une partie des résidus de combustible nucléaire a changé. C’est comme s’ils s’étaient transformés en éléments chimiques qui n’existaient pas avant, tels que l’aluminium qui n’entrait pas  dans la construction du réacteur. Ouroutskoïev  propose une nouvelle hypothèse fondée sur la théorie du physicien français Georges Lochak lequel a découvert une particule élémentaire qu’il a appelée le monopôle magnétique leptonique; c’est une particule à masse nulle créée par un basculement encore inexpliqué, entre l’électricité et le magnétisme, lors d’une décharge. Ce flux de monopôles magnétiques aurait produit, en arrivant au coeur  de la centrale, une augmentation de la radioactivité qui avait fini par provoquer une réaction de nature nucléaire. Non pas la classique réaction en chaîne, mais une espèce de transmutation des éléments à basse énergie. De sorte que la cause de la catastrophe aurait été un simple court-circuit.

Une des 110 hypothèses existantes sur le cataclysme, est celle du tremblement de terre: le physicien nucléaire Konstantin Tchetcherov avait été chargé de mesurer la radiation avec un équipement américain de balayage par infrarouges. Il s’est introduit dans le puits du réacteur numéro 4, passa sous les salles inférieures et il prit des milliers de mesures. Il dit que dans le sarcophage tout aurait du être détruit, mais  que ce n’était pas le cas. Il restait de la peinture sur certains murs. Les tuyauteries étaient cassées comme sous l’effet d’une poussée horizontale, caractéristique d’une secousse de part et d’autre. Et la chaleur d’une explosion aurait laissé un paysage différent. En revanche, certaines salles étaient très peu détériorées. Il dit que d’énormes quantités de ciment et de béton ont été déversés dans le sarcophage. Mais il n’yavait rien de tout ça, c’était vide. C’est le géophysicien ukrainien Viktor Omeltchenko qui explique que la centrale de Tchernobyl se trouve à la rencontre de deux grandes failles et que le sismographe de la station la plus proche de Tchernobyl a enregistré des mouvements postérieurs au 26 avril 1986, ce qui prouve qu’il s’agit d’une zone sismiquement active. On assure qu’un tremblement de terre a eu lieu  entre 20 et 22 secondes  avant les explosions. Ce fut un séisme capable de détruire le système de refroidissement, formé de 1 600 canalisations.  Fausse est la terre qui bouge, dit-on là bas. Et ce jour là, la terre a bougé.

Nesterenko avait préconisé de creuser sous la salle du réacteur pour pomper l’eau puis  sceller la cuvette avec du béton et de la magnésie. Il fallait creuser jusqu’à 12 mètres et de là une galerie d’environ 180 mètres passerait sous la centrale et par où ils introduiraient le nitrogène liquide pour refroidir le magma. On a donné une enveloppe de 1 000 roubles à un volontaire revêtu d’une combinaison de plongeur, mais deux jours plus tard, au moment où s’achevaient les manoeuvres  pour évacuer l’eau sous le réacteur, le magma nucléaire, alourdi par le sable et le plomb, brisa le fond du réservoir et tomba dans le bassin de refroidissement, déjà vide. Un énorme nuage de poussière radioactive s’éleva, mais il n’eut pas d’explosion nucléaire. 

La radioactivité dégagée par un des isotopes, comme le Cesium 137  brûle les êtres vivants ou pénètre dans le métabolisme via les aliments. Au dessus de 50 becquerels par kilo, le mal commence.Dans certains bourgs, ils avaient mesuré 300, 500 becquerels, parfois 2250 becquerels par kilo chez un enfant;  à 7000 becquerels les hommes tombaient raides morts. C’était le cœur qui s’arrêtait de battre. Les enfants pleurent beaucoup et quand on leur demande pourquoi, ils ne savent pas répondre, certains ne peuvent pas se lever du lit et passent leur nuit à gémir de douleur. A partir de mai 1986 le Ministère de la Santé de l’Union soviétique rehaussa de 50 fois le seuil de radiations ionisantes admissibles pour la population !

Quelques jours après l’accident de la centrale, le ministre Romanenko a recommandé à la population de fermer les fenêtres, de nettoyer les semelles des chaussures avant d’entrer dans les maisons, de passer un linge humide sur les meubles…Peu d’antidotes disponibles pour ses doses massives d’irradiation: boire beaucoup car il faut hydrater le corps pour que les particules radioactives s’évacuent par la sueur et l’urine (mais la contamination de l’eau ?), consommer de la pectine, donner un sirop à base de liophilite, un complexe vitaminé. Quant aux signes d’irradiation, pour ceux qui ne tombaient pas fulminés par l’arrêt cardiaque, les signes étaient dominés par la fatigue extrême, les vomissements, les vertiges, l’apparition de ganglions.

Les antidotes aux radiations sont infimes: consommer de la pectine, donner aux enfants de la liophilite ou complexe vitaminé; quant à la prévention, elle parait dérisoire. Dans une circulaire du BELRAD (Institut indépendant biélorusse de protection radiologique), organisme dont Vassili Nesterenko était le fondateur en 1989 pour mobiliser la communauté internationale sur le sort des citoyens soviétiques contraints de vivre dans les zones  de retombées radioactives, on pouvait lire:  faire tremper la nourriture dans de l’eau salée pendant 6 heures, légumes et fruits,  jeter l’eau et recommencer. Ainsi TROIS fois. Après on peut manger. Couper la viande en morceaux de taille moyenne et les plonger dans de l’eau salée-vinaigrée pendant 10 heures. On peut réduire le taux de Cesium de 137 à 50% en les faisant cuire  lentement. Il existe un médicament, mis au point par le docteur Goudkov de l’Institut Lerner à Cleveland, le CBLB502 qui retarde la mort des organismes irradiés à forte dose, en retardant l’apoptose.

Livre apocalyptique qui baigne dans le réel le plus vertigineux.

LE CYCLISTE DE TCHERNOBYL, Métailié 2013,  ISBN 978-2-86424-937-5

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