Le musée de l’Innocence d’Orhan Pamuk

Ferit Orhan Pamuk, dit Orhan Pamuk est un écrivain turc (Istanbul 1952), prix Nobel de Littérature 2006. Sa prose est riche, voire baroque, il navigue entre la poésie, le conte et la chronique. Il excelle dans l’art du détail pour décrire avec une grande minutie la vie de tous les jours. Son style mélange la tradition narrative et poétique du monde arabo-musulman avec l’avant-garde occidentale.

J’avais lu de lui Le Chateau blanc (1985), son troisième roman qui aborde le choc des civilisations entre l’Orient representé par un hadja (savant) sous le règne de Mehemet V et l’Occident représenté par un savant italien, les deux hommes sont le sosie parfait l’un de l’autre et le roman va développer un problème d’identité dans un « style voltairien », se posant une question : qu’est-ce que l’Homme?

Le musée de l’Innocence (2006) est le huitième roman de Pamuk et le premier après le prix Nobel. Ce roman est une fresque de 672 pages qui va nous raconter la passion de Kemal pour sa cousine Füsun alors qu’il est déjà promis à Sibel. Kemal de 30 ans est l’un des deux fils d’un industriel stambouliote, son futur est déjà tout tracé, il est fiancé à Sibel, une jeune fille de son milieu; quant à Füsun, 18 ans, elle est fille d’un professeur de lycée et d’une couturière, Füsun travaille comme vendeuse dans une boutique chic et c’est là que Kemal va la rencontrer pour la première fois : il en tombera amoureux et ce sera pour la vie.

Après avoir vécu une courte, mais intense relation charnelle avec Füsun, Kemal se fiancera en grande pompe avec Sibel pour finalement rompre les fiançailles car il est obsédé par sa cousine. Füsun va se terrer quelque part après ces fiançailles puis se mariera avec un cinéaste. Sa grande beauté fera qu’elle rêvera de devenir actrice, ce qui ne se fera pas, en raison de l’intervention de Kemal afin de la préserver d’un milieu qui ne respecte pas les femmes.

Ce Kemal est véritablement un anti-héros, un être qui navigue en permanence entre fiction et réalité. Je ne l’ai pas trouvé attachant du tout dans son délire.

Füsun et son mari habitent avec les parents de la jeune femme et Kemal se rendra plusieurs fois par semaine au domicile parental dans le but d’apercevoir sa bien aimée. C’est pendant cette période, qui va s’étaler pendant des années, que Kemal va developper une vraie pathologie connue comme syllogomanie ou thésaurisation compulsive d’objets. Dans le cas de Kemal, il deviendra, en plus, cleptomane car il commencera à voler des objets ayant appartenu à Füsun ou des objets qu’elle a touchés, dans la perspective de monter un musée (d’où le nom du roman: Le musée de l’Innocence, l’innocence de l’amour de deux êtres qui se donnent l’un à l’autre en dehors des conventions sociales).

La « pathologie » de Kemal va associer d’autres anomalies : il deviendra menteur et manipulateur.

La vie de la société stambouliote est très bien décrite montrant l’énorme écart entre les traditions fortement ancrées et les aspirations vers un modernisme à l’occidentale.

Je dois avouer que j’ai eu du mal avec cette passion morbide de Kemal envers sa cousine, par moments son attitude m’a exaspéré, agacé à un point indicible. Mais, in fine, je suis satisfaite de cette lecture si différente, un roman à l’eau de rose, version istambouliote des années 70 du siècle dernier avec cet engouement turc pour le cinéma, et le rêve des classes favorisées pour un Occident plus libre…Cinquante années plus tard, ils doivent se retrouver dans une position encore plus arriérée.

Il faudra lire les 762 pages pour connaitre la fin de cette histoire d’amour hors normes. En ce qui me concerne, j’ai terminé cette lecture plutôt éreintée. L’Histoire de la Turquie apparait en filigrane (coup d’État de 1980), ce n’est pas l’objet du récit.

Il y a une étonnante mise en abyme car on lit que c’est le propre Orhan Pamuk qui écrit l’histoire d’un Kemal vieillissant , qui se déclare très heureux.

Le plus extraordinaire est que le musée de l’Innocence existe, il a été crée par Orhan Pamuk à Istanbul dans le quartier de Çucurkuma (quartier des antiquaires), inauguré en 2012 et ayant reçu le prix du musée européen de l’année 2014. C’est une bâtisse rouge de 3 étages qui tranche sur les autres bâtiments (voir photo) où 83 vitrines (une pour chaque chapitre) montrent des objets de la vie quotidienne et de la culture stambouliotes; chaque vitrine raconte un épisode de la vie à Istanbul en 1970. On dit que Pamuk a écumé pendant 15 ans les antiquaires à la recherche de ces objets.

Un film a été tourné en 2015 par Grant Gee : Orhan Pamuk, l’éloge de la mélancolie avec 3 parties : celle du Musée, celle d’Istanbul et celle de l’écrivain (film non vu).

Le musée de l’Innocence- Istanbul

LE MUSÉE DE L’INNOCENCE, Gallimard 2011 (OP 2006), ISBN 978-2-07-078659-6

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