Blanche et Marie de Per Olov Enquist

Per Olov Enquist était un écrivain, journaliste et dramaturge suédois (1934-2020); il s’est entièrement consacré à l’écriture depuis 1977.

Sa particularité était d’écrire des romans qui partent de faits réels pour aboutir à un mélange complexe de fiction et de réel; ceci correspond en Suède au mouvement documentariste qui aurait ses racines dans les expériences sociales de la Suède dans les années 60. C’est une littérature qui combine les genres : reportage, instruction juridique et d’autres topiques.

Blanche et Marie (2004) est son dernier roman avec Blanche Wittman et Marie Curie. Blanche Wittman fût la patiente préférée du grand neurologue français Jean Martin Charcot, père de la Neurologie moderne. Marie Curie est une contemporaine de Charcot et il est plus que probable qu’ils se soient croisés, ne serait-ce que par le biais d’une connaissance commune, Sigmund Freud.

Ce livre est une biographie fictive et très libre de Blanche Wittman (portrait ci-après), internée à l’âge de 18 ans pour des années, dans le service du Pr Charcot et qui lui a servi de modèle pour ses démonstrations publiques d’hystérie et aussi pour des études sous hypnose.

L’écrivain Enquist a fait entrer dans cette fiction, la brillante Marie Curie comme employeur de Blanche dans son laboratoire afin de donner plus de cohésion à son roman.

Le livre d’Enquist se veut une confrontation entre l’idée de l’amour romantique et une idée d’un amour en phase de fluide chimique ou version « plus scientifique » de ce désordre émotionnel. Et pour développer le sujet, il va confronter la supposée relation amoureuse entre Blanche Wittman et son thérapeute, le docteur Charcot, un homme marié. En même temps qu’il mettra en parallèle l’amour entre Marie Curie (veuve depuis 6 ans) et son collègue Paul Langevin, un homme marié aussi, très malheureux en ménage. Une affaire qui a duré 5 mois.

Pour appréhender de plus près l’amour entre Blanche et Charcot, Enquist a inventé trois cahiers tenus par Blanche où elle s’explique et dévoile à demi mots cette relation.

L’histoire sentimentale de Marie Curie avec Langevin s’est très mal terminée; après publication d’une lettre compromettante, Madame Curie fut trainée dans la boue. Dans le roman, Blanche Wittman est une véritable consolation et aide psychologique pour une Marie Curie complètement détruite.

Dans cette histoire Blanche Wittman apparait comme très abîmée par les radiations qu’elle aurait prises dans le laboratoire de Marie Curie, avec des lésions telles qu’elles auraient nécessité l’amputation d’une jambe et des deux bras, la transformant en femme tronc.

En février 2007, un médecin hollandais, le Dr J. van Gijn, publia dans la très sérieuse revue médicale The Lancet un pamphlet contre Terry Eagleton, auteur d’une critique du livre de Per Olov Enquist, arguant que c’était un affront vis-à-vis de ces deux icônes de la Science que furent Charcot et Curie, une pure fantaisie : rien ne prouve que Blanche et Charcot furent amants; Blanche se serait contaminée avec les radiations en travaillant dans le service de Radiologie de La Salpêtrière et non dans le laboratoire de Marie Curie; Blanche n’aurait pas perdu les deux jambes mais seulement les doigts et une partie des bras.

Par ailleurs, le roman récent de Victoria Mas (Le bal des folles, 2019) décrit très bien le service du Professeur Charcot où se déroule son roman, autour du fameux bal annuel auquel participaient les patientes et attirait le tout Paris. Autre roman intéressant est celui de l’écrivaine espagnole Rosa Montero L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir, paru en 2013 en VO, où elle fait largement état de la vie intime de Marie Curie.

Un livre original avec un sujet passionnant, bien que j’ai moyennement aimé la façon d’Enquist de raconter cette histoire, cela m’a semblé confus par moments. Mais son idée de vouloir confronter le côté scientifique de cette évanescence chimique qui est l’amour, m’a paru brillante.

En conclusion, on pourrait dire que si l’amour tue, le radium tue aussi. Ci après le fameux tableau de 1887 d’André Brouillet représentant Blanche en pâmoison, soutenue par Babinski.

BLANCHE ET MARIE, Actes Sud 2006 (POE 2004), ISBN 2-7427-5889-5

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