Le divertissement provincial d’Henri de Régnier

Lire : Henri de Régnier et ses choses lointaines et secrètes

Henri de Régnier fût un écrivain, poète et critique littéraire français (Honfleur 1864-Paris 1936), proche du symbolisme; il a été élu à l’Académie Française en 1911; il a connu une notoriété considérable à son époque. Cet auteur fit aussi partie du groupe littéraire décadentiste de la fin du XIXè.

De 1908 à 1911 il est le chef de file du Club des Longues Moustaches qui se réunissait chaque année au Café Florian de Venise, un groupe littéraire d’écrivains français dont Abel Bonnard, Charles Du Bos, Auguste Gilbert de Voisins, Émile Henriot, Edmond Jaloux, Eugène Marsan, Francis de Miomandre, Jean Louis Vaudoyer.

Michel Bulteau a écrit un essai excellent sur le groupe, publié en 1988, où l’on apprend que le nom Les Longues Moustaches a été donné par Paul Morand à ce groupe dont il parle dans son livre Venises de 1971 en disant…des hommes charmants, sans grande confiance en eux-mêmes, dandys amers et doux, vite amusés ou désespérés... La devise du groupe était « vivre avilit ».

De Henri de Régnier j’ai lu deux livres, sur Venise justement. Esquisses vénitiennes , ce sont de tout petits récits sur Venise, fort bien écrits, avec un sens très poétique, assez romantiques, spirituels et où il se remémore les cloches de Venise…toute une sensation. L’autre livre c’est  Récits vénitiens qui comprend deux nouvelles excellentes, si imprégnées de cette ambiance vénitienne unique, dont l’une a une connotation fantastique, un genre très apprécié par de Régnier. J’ai trouvé Récits vénitiens bien supérieur à Esquisses vénitiennes dont le style est plus ampoulé. En lisant il y a peu le livre Acqua Alta du poète nobel Joseph Brodsky, celui-ci était très élogieux envers  Le divertissement provincial, ce qui a provoqué ma curiosité pour le lire; je ne regrette pas l’expérience.

Le divertissement provincial, publié en 1925 est un roman, assez étonnant, mêlant plusieurs genres et avec une fin surprenante. C’est très bien écrit, dans un français un peu suranné, élégant, assez érudit.

Le protagoniste est un parisien de bonne famille qui, à la mort des parents, va toucher un héritage assez conséquent. Mais à 40 ans, il aura tout dilapidé; sans faire de véritables folies mais menant un bon train de vie.

Alors, il va se rendre en province, dans la petite ville de P…,  où il sera accueilli par une tante paternelle, veuve sans enfants et qui l’avait accueilli en vacances avec ses parents jusqu’à l’âge de quatorze ans. (Ici j’admire le sens de la famille, accueillir un benêt de 40 ans  et lui offrir le gîte et le couvert sans rien en échange).

Cette tante est une personnalité dans la petite et étriquée ville de P…,  elle pérore, on l’écoute, elle reçoit les personnalités du coin et va à la messe tous les jours. Notre protagoniste n’est pas tendre du tout avec elle, et elle semble peu l’apprécier mais le laisse tranquille.

L’auteur nous livre un catalogue édifiant de cette petite société provinciale, ils les observe avec une acuité d’entomologiste et les juge; il semble négliger que lui, pour ces provinciaux confits dans leurs coutumes, il incarne le futile et la débauche. Les réunions se faisaient volontiers chez la tante et le parisien était ébahi par la teneur des conversations : un des thèmes récurrents était le transit intestinal des uns et des autres, un autre c’était la vie sexuelle des couples avec tous les détails, mais il était de mauvais ton d’aborder la sexualité en dehors du couple. Le thème de l’économie des ménages  tient aussi le haut du pavé dans les conversations …cette matière économique menait à l’examen et l’évaluation des fortunes. On était curieux, à un sou près, de ce que chacun possédait. L’investigation en était poussée à un point de minutie incroyable, et à faire honte aux agents du fisc. Une fois bien supputé, pesé, discuté, ce que chacun encaissait, dépensait, ou mettait de côté, on passait au chapitre des « relations », c’est à dire des sympathies et des haines, des visites faites ou rendues, des intimités et des rencontres, dont les plus fortuites prêtaient aux racontars et d’où l’on tirait les considérations aussi oiseuses qu’infinies.

Cette petite ville de P… est jugée sans clémence…le « prochain » occupe donc une grande place dans les conversations à P…., mais la charité chrétienne ne préside pas toujours aux discours que l’on tient sur autrui. La critique des caractères est pratiquée sans indulgence et elle se montre infiniment plus sensible aux défauts qu’aux qualités. Une fois tenu compte des réticences de politesse, des réserves de prudence, des sous-entendus, de toutes les ruses qu’emploie une savante malveillance pour se dissimuler sous les traits de l’impartialité, état fait des atténuations, il en ressortirait aisément que la charmante petite ville de P… est habitée par une société composée en majorité d’avares, de débauchés, d’envieux, de menteurs, d’hypocrites, de goinfres, et autres variétés humaines aussi peu recommandables.

Autre chose qui m’a interloqué dans ce roman, c’est la figuration d’argentins. Nous sommes en 1925 et il faut que l’écrivain ait été frappé par ces argentins engomminés, richissimes, ostentatoires, n’ayant pas toujours des fréquentations recommandables.

Au fil du temps il va se développer une véritable névrose chez ce parisien relégué à une totale inactivité, une dépression dirait-on aujourd’hui. Peut-être même une psychose? Car il va survenir l’impensable dans cette petite ville de P… : un meurtre, le meurtre de Mr de Bligneul, le visiteur de la tante qu’il détestait le plus (…je ne pouvais pas supporter la présence de ce petit homme prétentieux et nul, chamarré de tous les préjugés bourgeois, bedonnant et solennel en sa taille minuscule, avec sa tête d’oiseau à lunettes, fort riche et misérablement avare, en un mot le parfait provincial, la parfaite incarnation de la province en sa plus médiocre médiocrité). 

On va donner le cas de ce meurtre à un brave magistrat lequel aura toutes les peines du monde pour venir au bout de cette histoire. Pour le lecteur, l’affaire n’est pas simple et il se pourrait bien que rien ne soit comme il paraît. En tout cas moi, j’ai entrevu deux possibilités bien distinctes et cela fut pour moi un des charmes de ce roman.

LE DIVERTISSEMENT PROVINCIAL, Albin Michel 1925, pas d’ISBN

Une réflexion sur “Le divertissement provincial d’Henri de Régnier

  1. Pingback: Provincial entertainment - De Regnier Henri - World Today News

Laisser un commentaire