Grossir le ciel de Franck Bouysse

Grossir le ciel, Franck Bouysse | Livre de Poche

Franck Bouysse est un écrivain français (Brive-la Gaillarde 1965) de romans noirs; il se dédie à l’écriture de façon exclusive depuis 2004.

Grossir le ciel (2014) est déjà son neuvième roman et c’est un livre qui a reçu au moins 5 prix ! C’est le premier tome de la tétralogie Des saisons et une rose (suivront Plateau, Glaise et Né d’aucune femme). Je suis arrivée à cette lecture par le bouche à oreille et je reconnais que c’est une pépite. Tout d’abord ce style cru et précis de Bouysse, avec en même temps beaucoup de  poésie dans la prose et beaucoup d’humanité qui suinte à fleur de page. Puis, il y a cette histoire située dans les Cévennes, pays huguenot, avec une histoire mêlée de terroir, bouleversante. C’est un livre qui laisse des traces avec une histoire qui nous hante longtemps après avoir refermé le bouquin.

La clé du titre Grossir le ciel, nous la connaîtrons à la fin du livre (une fin que j’ai trouvée un peu elliptique, peu tranchée): …alors, Gus se leva sans effort, marcha en direction de l’abbé et le trio se mit en route pour s’en aller grossir le ciel…

La temporalité du récit est clairement annoncée dans ce roman, c’est la mort de l’abbé Pierre, en janvier 2007. L’action se situe dans un hameau cévenol blanchi par la neige et gelé par le froid. Ce décès va perturber énormément Gustave Targot alias Gus car il ressent un véritable attachement envers le saint homme et il va suivre la cérémonie à la TV sans en perdre une miette.

Nous avons deux personnages :Gus et Abel, deux taiseux qui se connaissent depuis toujours puisque leurs fermes respectives sont à quelques 100 mètres de distance seulement dans le hameau des Doges, entre Mende et Alès . Abel est l’aîné de 20 ans. Leurs familles ont un contentieux qui date de l’époque des parents de Gus et dans ces contrées les secrets de famille restent enfouis chez ces taiseux.

Abel et Gus vont se côtoyer très peu, juste pour échanger du matériel agricole à l’occasion ou se prêter main forte si besoin, ou encore boire un coup de rouge chez l’un ou chez l’autre. Rien de plus. Mais ils se respectent. La région est dépeinte magistralement, un pays de solitude, une terre de légendes, une nature rude, un travail agricole digne du XIX siècle.

Gus vit tout seul depuis la mort de ses parents; il ne s’est jamais marié, sa seule compagnie est son chien Mars qu’il adore, ils vivent dans une parfaite symbiose. Abel en revanche, a été marié et a perdu sa femme en couches; quant à l’enfant, celui-ci a été placé tout de suite en institution car il est anormal. Ces deux là vont s’approcher sans se laisser envahir l’un par l’autre ni s’apprivoiser.

Un jour de l’hiver 2007,  Gus va commencer à soupçonner Abel parce qu’il va entendre des cris, une détonation et il découvrira quelques gouttes de sang frais sur la neige…Gus va alors commencer à espionner son voisin en cherchant des preuves visant à le compromettre; à partir de là nous rentrons dans un roman noir, très noir et le lecteur ira de surprise en surprise jusqu’au dénouement final.

Le roman est court mais puissant, il y a un huis-clos étouffant qui monte en puissance peu à peu et scotche le lecteur à sa lecture. Il y a le descriptif au détail près du rythme de la vie des deux hommes et aussi leurs joutes verbales, supposées s’échanger entre deux rustres, mais en fait d’une acuité psychologique étonnante. Dans leurs échanges il y a autant de sous entendus et des non-dits  que des choses concrètes. C’est très réussi. C’est un livre escarpé comme un à-pic et le lecteur va déraper et se faire mal. Dans ces terres de solitude et arides, les rancoeurs sont tenaces, les suspicions fréquentes.

D’aucuns définissent Franck Bouysse comme un poète de l’âme et je suis d’accord. Maintenant je sais que j’ai envie de lire tous ses livres.

Un exemple de la beauté de la prose de Bouysse…page 23 : Dehors, la nature était toujours en sourdine et le jour s’était levé. La neige tombait de nouveau, des flocons gros comme du duvet d’oie, qui semblaient ne jamais toucher le sol tellement ils étaient légers et repartaient dans l’air pour un tour avant de se poser au ralenti...

Autres livres commentés : Plateau, Glaise, Né d’aucune femme, Buveurs de vent, Oxymort, L’homme peuplé.

GROSSIR LE CIEL, La manufacture de livres 2018,  ISBN 978-2-35887-257-7

2 réflexions sur “Grossir le ciel de Franck Bouysse

  1. Merci de m’avoir offert cette lecture, une belle découverte, et oui, absolument une pépite.

    Dès les premières pages une magie s’est opérée. En quelques phrases concises, rugueuses mais riches en images, j’ai été transporté dans cette ferme isolée du temps et de l’espace, aux côtés de cette vie d’ascète, de labeur ; qui m’ont semblé familiers sans les avoir jamais ni connu ni vécue.

    On ressent aux côtés de Gus sa liberté et sa solitude, qui sont totales. On observe la nature, qui donne tout et qui prend tout. On découvre un désert, une destinée puisque les choix n’existent pas, une espèce en voie d’extinction en Gus et Abel qui ne sont plus compatibles avec l’évolution du monde, qui finira par les avaler, inévitablement.

    Ce plaisir de lecture aurait suffi à me délecter au fil des pages, mais assez rapidement l’histoire s’envole, un battement d’ailes engendre une tempête, le rythme devient haletant, rebondissements et dénouement nous entraînent jusqu’au point final.

  2. J’ai trouvé ce roman très fort et très noir. L’intrigue est vraiment bonne. L’auteur a un grand talent pour la description du monde rural et de sa désespérance. On « voit » ce qu’il écrit, (par exemple la description de la ferme en hiver avec les machines sous la neige, cela m’a rappelé des souvenirs d’enfance). C’est aussi un livre sur l’immobilité de l’existence à la campagne. Je me demande si les personnages sont viscéralement attachés à la terre ou seulement complètement déterminés par leur condition.
    Du côté des moins, il y a me semble-t-il quelques facilités – la conversation avec le pasteur par exemple – le style des dialogues m’a paru parfois un peu scolaire et pas très paysan. Il m’a manqué, dans ce livre, un peu d’espoir et une vision de la nature moins monochrome. La description du monde rural comme un creuset de violence et de haine m’a gênée.

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