Un balcon en forêt de Julien Gracq

Julien Gracq, de son vrai nom Louis Poirier est un écrivain français (1910-2007); il a provoqué une commotion lorsque en 1951 il a refusé le Prix Goncourt pour son roman Le rivage des Syrtes. Son oeuvre a été publiée de son vivant dans la Bibliothèque de la Pléiade, ceci est rare. Ses oeuvres ont été traduites dans plus de 26 langues.

Un balcon en forêt est un roman publié en 1958 qui traite de la drôle de guerre, une histoire de vacances guerrières oniriques du lieutenant Grange dans la forêt ardennaise. Ce livre à l’époque avait déconcerté les critiques;  pour Gracq, la littérature est pur mouvement avec une prise de possession de l’espace et une projection vers l’avenir. Les fictions de Gracq se caractérisent toujours par l’attente d’un évènement dont la nature est souvent catastrophique. Et il faut signaler que Louis Poirier fut mobilisé fin août 1939 dans l’infanterie avec le grade de lieutenant au 137 RI. Il a été fait prisonnier et envoyé dans un stalag en Silésie.

Dans ce livre, l’univers de la fiction se confond avec le monde réel, mais c’est une confusion partielle car si l’action se déroule en Ardennes, les lieux portent des noms fictifs.

C’est un livre de lecture difficile; il a été proposé maintes fois aux concours  de l’Agreg de Français (ah ! les pauvres impétrants, comme je les plains). Parce qu’en dehors d’une écriture belle, d’une prose plus que soignée et très onirique, dans ce livre il ne se passe presque rien. Non seulement il ne se passe pas grande chose, mais par moments cette prose devient du pur délire syntagmatique. Le récit est une attente du début à la fin et les personnages n’ont aucune profondeur humaine, nous ne saurons presque rien sur eux, ils sont posés là comme un faire valoir dans cette scène attentiste. Il y a même l’apparition d’un déserteur belge qui va s’évaporer comme il est apparu…

En revanche, le décor est assez concret : quatre hommes sont placés en bordure de forêt ardennoise dans un blockhaus afin de couper la route aux allemands, entre autres, avec du fer barbelé, parce qu’il est évident que les allemands passeront par là. Les quatre hommes vivent dans ce blockhaus, ou fortin qu’ils appellent la « maison forte » et c’est la première fois que je vois en littérature appeler un blockhaus de cette façon. Ils sont quatre : le lieutenant Grange et ses hommes: le caporal Olivon, et les soldats Hervouët et Gourcuff. Ces hommes vivent au jour le jour,  et en attendant ils éclusent pas mal d’alcool . On sent déjà la défaite, les ordres n’arrivent pas. C’est le sauve qui peut. Dans cette grande oisiveté baignant dans l’anxiété, le lieutenant va se lier avec une jeune femme veuve, Mona,  assez mystérieuse, mais on sent bien qu’il ne s’attache pas vraiment, c’est un passe-temps de soldat, Grange est dans son rêve de soldat.

Julien Gracq met en scène la défaite française vécue par Grange. Les Allemands qui sont passés là où on n’avait pas prévu qu’ils passeraient, vont détruire d’un simple tir provenant de l’intérieur du pays le blockhaus  défendu par Grange.

Les personnages se meuvent dans un espace-frontière et ils attendent la guerre. Cette mise en tension du lieu de l’action mobilise des personnages qui sont momentanément désancrés.

Un film en 1979 avec un titre homonyme , en coproduction avec Antenne 2, a été conçu au départ comme un feuilleton en deux parties pour la télévision et dirigé par Michel Mitrani,  beau frère de Gracq. Ce film est visible sur Ina.fr.(uniquement 10 minutes non payantes) et il montre la vie quotidienne des hommes qui sont peut être promis à une mort, la routine de la vie militaire, les relations entre ces hommes et les villageois:

http://www.ina.fr/video/CPB80056069

Au total un livre ardu, avec une belle prose un peu désuète. Mais nous sommes dans la vraie littérature.

UN BALCON EN FÔRET, Jose Corti Éditeur 1958,  ISBN 2-7143-0257-2

Une réflexion sur “Un balcon en forêt de Julien Gracq

  1. Bonjour,
    voilà un « balcon en forêt » qui est là comme un témoignage de la débâcle française de 1939…Dans un style très littéraire, je dirais trop littéraire pour moi qui n’ai pas saisi toutes les expressions, l’histoire se perd dans de trop longues descriptions comme la France se perdait à cette époque dans une quiétude de vivre qui n’était pas la guerre. Et puis finalement tout arrive, les allemands passent (on suppose par un endroit qui n’avait pas été prévu) et détruisent la « maison forte » d’un seul tir de canon sur le coté de la maison qui ne devait pas être fortifié…
    Une histoire qui nous rappelle que notre existence collective dépend aussi de ceux qui nous entourent et auxquels nous devons être attentifs, sujet bien actuel!

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