La chambre de Françoise Chandernagor

Françoise Chandernagor est un écrivain français (Palaiseau 1945), membre de l’Académie Goncourt. Elle est diplômée de l’Institut d’études politiques, avec une maîtrise de droit public, puis elle a intégré l’ENA à  21 ans d’où elle sortit major.

J’ai lu les mémoires imaginaires de Madame de Maintenon, publiés sous le titre de L’Allée du Roi en 1981, livre  que j’avais adoré; j’avais adoré aussi l’adaptation pour la TV de Nina Companeez en 1995, à tel point que j’ai acheté la série et je l’ai regardé d’innombrables fois. D’ailleurs, j’ai une très jolie anecdote à ce propos: mon fils, regardant avec moi la série par la énième fois, me demanda pourquoi nous ne parlions plus le joli français qu’on entend dans le film…ses tendres petites oreilles étaient donc sensibles à la sublime beauté du langage.

J’ai  lu aussi La première épouse de 1998 où elle raconte son divorce et sa souffrance, un livre assez douloureux par les accents de sincérité. J’ai lu aussi le roman La voyageuse de nuit  de 2007 qui raconte  la vie de 4 soeurs dont la mère agonise,  avec  4 visions différentes de cette mère et de petits secrets qui vont recomposer un puzzle géant; c’est un constat terrible et dévastateur parce que en apparence unies, les quatre soeurs vont se déchirer. Livre magnifique mais qui dérange.

La chambre de 2002 est un livre que je n’aurais pas lu si ce livre ne m’avait pas été offert; même ainsi, j’ai failli abandonner cette lecture qui résultait trop douloureuse, qui me rendait profondément mal à l’aise. Voici d’autres mémoires imaginaires, cette fois concernant l’enfant Capet, Louis XVII, le troisième fils de Marie Antoinette et de Louis XVI qui échappa à la guillotine. Il a été enfermé avec ses parents au Temple, dans la Tour du Temple pendant trois années. Le Roi fut guillotinné d’abord, puis la reine. Le fils ainé était mort de tuberculeuse osseuse (mal de Pott) et la fille aînée, Marie Thérèse (future duchesse d’Angoulême)a été emprisonnée au-dessus de son petit frère, mais sans qu’ils se sachent voisins. Ce pauvre enfant embarrassait tout le monde et ils l’ont laissé croupir, sans soins, sans aucune présence humaine jusqu’à le rendre à l’état de bête , sale, couvert de vermine, ayant perdu l’usage de la parole, ayant perdu tout espoir d’humanité. L’enfant est mort à l’âge de 10 ans et trois mois par négligence.

Beaucoup de  gens qui gravitaient au Temple sont morts pour la plupart car ordres et contre-ordres tombaient chaque jour, parfois de façon incohérente. Personne s’est occupé de cet enfant de façon suivie.

On sent bien que l’historienne ne veut pas prendre parti; elle bâtit son histoire avec les quelques éléments historiques qu’elle a pu grappiller, mais la compassion suinte du récit et rend la chose à peine moins insoutenable. On avait fait signer à cet enfant de 8 ans un document accusant sa mère, sa soeur et sa tante, des pires aberrations sexuelles, comme si cet enfant pouvait juger des faits de cette envergure. Ce pauvre enfant désemparé et abandonné qui avait développé un syndrome de Stockholm afin de survivre, afin d’échapper à son triste sort d’enfant de roi.

Un extrait:…Dans « la chambre où l’on n’entrait jamais », l’enfant qui s’endort a experimenté aujourd’hui la première de ses stratégies de survie. En ce mois de février, sa recette c’est l’observation du temps- du temps qu’on emploie; plus ou moins bien, et du temps qu’il fait, plus ou moins beau: la neige, la pluie, la bise sont, à y regarder de près, à y regarder toute la journée, des évènements passionnants. Mars, avril, il s’attachera davantage aux sons, développera, presque à l’infini, ses facultés auditives, et se récitera avec méthode ses jurons et ses conjugaisons. Avec l’été ce sera l’apprentissage du partage- avec les insectes, les parasites, les rongeurs, toute une vie naturelle à laquelle de grands esprits n’ont pas craint de s’intéresser. Puis il y aura, à l’automne, le jeu des lumières et des ombres, le mouvement des mains, la danse des mains, les rêves. Ensuite, avec le retour du froid, la peau- épouillage, grattage, caresses, indécences nuisibles à la santé »- et le sommeil comme une lente descente en apnée. Plus tard, entre deux sommes, deux rêves, la découverte du rythme: tapotement, balancement, bercement. Et après encore, la maladie, la fièvre, la douleur- des sensations dignes, elles aussi, selon les philosophes, d’être analysées…pour attendre et vivre encore, malgré le silence et les murs, attendre et se prolonger, durer, durer même sans espérer, il va vraiment tout essayer, l’enfant qui cherche son chemin, « à travers les morts, vers le jour ».

Quand l’Histoire est injuste, aveugle et sanguinaire envers des enfants, même royaux…

 

 

LA CHAMBRE, Gallimard 2002,  ISBN 2-07-076714-0

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